Ultimatum sous le même toit : Quand la fille de mon mari a débarqué sans prévenir
— Tu plaisantes, Pierre ? Tu ne m’as rien dit !
Ma voix tremble, oscillant entre colère et panique. Dans l’entrée de notre maison de campagne, Camille, la fille de Pierre, pose sa valise avec un sourire gêné. Elle a vingt-deux ans, l’âge où l’on croit que tout est encore possible, mais aussi celui où l’on oublie que les autres existent. Pierre, mon mari, détourne les yeux. Il sait qu’il aurait dû m’en parler.
Nous venions à peine d’arriver dans notre maison de l’Aveyron pour commencer les travaux tant attendus : refaire la cuisine, installer enfin ce sauna dont nous rêvions depuis des années. Après cinq ans de vie commune à Paris, nous avions besoin d’air, de calme, de retrouver un peu de nous-mêmes loin du tumulte. Mais voilà que Camille débarque, sans prévenir, avec ses rêves brisés et son air de chaton perdu.
— Je suis désolée Claire… Je ne savais pas où aller. Papa m’a dit que je pouvais venir quelques jours…
Quelques jours ? Je sens la colère monter. Pierre n’a rien dit. Il a pris cette décision seul, comme souvent quand il s’agit de Camille. Depuis son divorce, il culpabilise de ne pas avoir été assez présent pour elle. Mais moi ? Où est ma place dans tout ça ?
La première nuit, je dors mal. J’entends Camille pleurer dans la chambre d’amis. Pierre se lève pour la consoler. Je reste seule dans notre lit trop grand. Le lendemain matin, autour du café, le malaise est palpable.
— Camille, tu comptes rester combien de temps ?
Elle baisse les yeux.
— Je ne sais pas… J’ai quitté mon copain, j’ai perdu mon boulot… J’ai juste besoin d’un peu de temps.
Pierre pose sa main sur la sienne. Je serre les dents. J’ai envie de hurler : « Et moi ? J’existe encore ? » Mais je me tais. Je prends sur moi. Comme toujours.
Les jours passent. Camille s’installe. Elle laisse traîner ses affaires partout, ne participe pas aux travaux, passe ses journées à regarder des séries ou à pleurer au téléphone avec ses amies. Pierre la défend :
— Elle traverse une période difficile… Sois patiente.
Patiente ? Cela fait des années que je suis patiente ! J’ai accepté son ex-femme qui appelle à toute heure, ses week-ends annulés parce que Camille avait besoin de lui… Mais là, c’est trop.
Un soir, alors que je prépare le dîner seule — encore — j’entends Pierre et Camille rire dans le salon. Je me sens invisible. Je claque la porte de la cuisine un peu trop fort.
— Claire, tu viens manger ?
Je prends une grande inspiration et je sers les assiettes. À table, le silence est pesant. Camille pique dans son assiette sans lever les yeux.
— Camille, tu pourrais au moins aider Claire avec les travaux ou la cuisine…
Pierre me lance un regard noir.
— Laisse-la tranquille ! Elle a besoin de repos.
C’en est trop. Je me lève brusquement.
— Non Pierre ! Moi aussi j’ai besoin de repos ! Moi aussi j’existe !
Camille fond en larmes et quitte la table en courant. Pierre me fusille du regard.
— Tu n’es vraiment pas obligée d’être aussi dure…
Je sors dans le jardin pour respirer. Les étoiles brillent au-dessus des collines noires. Je me sens seule comme jamais.
Le lendemain matin, je prends mon courage à deux mains. J’attends que Pierre soit seul dans la cuisine.
— Il faut qu’on parle.
Il soupire.
— Je sais ce que tu vas dire…
— Non, tu ne sais pas. Je t’aime Pierre, mais je ne peux plus vivre comme ça. Si Camille reste ici indéfiniment sans faire d’efforts pour s’intégrer ou chercher une solution, alors c’est moi qui partirai.
Il me regarde, abasourdi.
— Tu me demandes de choisir entre ma fille et toi ?
Je retiens mes larmes.
— Non… Je te demande de choisir entre continuer à fuir les problèmes ou enfin les affronter avec moi.
Le silence s’installe. Pierre ne répond pas tout de suite. Il sort fumer une cigarette sur la terrasse. Je sens mon cœur se briser un peu plus à chaque minute qui passe.
Les jours suivants sont tendus. Camille fait des efforts : elle aide à poncer les murs, prépare parfois le petit-déjeuner. Mais l’ambiance reste lourde. Un soir, elle vient me voir dans la cuisine.
— Claire… Je suis désolée pour tout ça. Je ne voulais pas m’imposer…
Je la regarde longtemps avant de répondre.
— Ce n’est pas facile pour moi non plus, tu sais.
Elle hoche la tête et sourit timidement.
Finalement, après deux semaines, Camille annonce qu’elle a trouvé une colocation à Rodez et qu’elle partira le week-end suivant. Pierre est soulagé mais triste ; moi aussi, mais je culpabilise d’avoir posé cet ultimatum.
Le soir du départ de Camille, Pierre me prend la main.
— Tu as eu raison de parler… J’aurais dû t’écouter plus tôt.
Je souris tristement. La maison retrouve son calme mais quelque chose s’est fissuré entre nous.
Aujourd’hui encore, je me demande : fallait-il vraiment en arriver là ? Aurais-je pu faire autrement ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?