Le dernier adieu d’Aurélien : porter le cercueil de ma petite sœur

« Aurélien, viens ici tout de suite ! » La voix de maman résonne dans le couloir, tremblante, étranglée par les larmes. Je serre la main de papa, glacée et moite à la fois. Devant moi, le petit cercueil blanc repose sur deux tréteaux dans le salon, entouré de roses blanches et de peluches. Camille n’a que trois ans. Ma petite sœur. Ma Camille. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi elle ne se réveille pas.

Hier encore, on jouait à cache-cache dans le jardin. Elle riait si fort que même les voisins s’arrêtaient pour sourire. Mais ce matin-là, elle ne s’est pas levée. J’ai entendu maman crier, puis les pompiers sont arrivés. Ils ont couru dans la maison, mais personne n’a pu la ramener. Depuis, tout est flou. Les adultes parlent bas, évitent mon regard. Je vois papa pleurer en cachette dans la cuisine. Maman ne mange plus. Moi, je serre fort la peluche préférée de Camille contre mon cœur.

« Aurélien, tu veux bien porter la peluche sur le cercueil ? » demande mamie d’une voix douce. Je hoche la tête sans répondre. Je voudrais crier, hurler que ce n’est pas juste, que Camille doit se réveiller, qu’on doit aller à l’école ensemble demain. Mais je n’ai plus de voix.

Les gens arrivent, des voisins, des amis de mes parents, la maîtresse de Camille. Ils me regardent avec pitié ou tristesse. Certains me tapotent la tête, d’autres me serrent dans leurs bras trop forts. Je voudrais qu’on me laisse tranquille. Je voudrais juste que Camille soit là.

Dans la cuisine, j’entends mes parents se disputer à voix basse :
— C’est ta faute ! Tu aurais dû vérifier qu’elle n’avait pas de fièvre !
— Et toi ? Tu étais où ? Toujours au travail !

Je ne comprends pas tout mais je sens que quelque chose s’est cassé entre eux. Depuis la mort de Camille, ils ne se parlent presque plus. Papa dort sur le canapé. Maman reste enfermée dans leur chambre.

À l’école, les enfants me regardent bizarrement. Certains chuchotent : « C’est lui dont la sœur est morte… » Mon copain Lucas ne sait plus quoi me dire. Il m’a juste donné un dessin avec un soleil et deux enfants qui se tiennent la main.

Le jour des funérailles arrive trop vite. On m’habille avec une chemise blanche et un pantalon noir qui gratte. Je déteste ça. Dans l’église, il fait froid et tout le monde pleure. Le prêtre parle de « petits anges partis trop tôt ». Je serre la main de papa si fort qu’il grimace.

Quand vient le moment de porter le cercueil, maman s’effondre en larmes. Papa me regarde :
— Tu veux venir avec moi ?
Je hoche la tête. On soulève ensemble le petit cercueil blanc. Il est si léger… trop léger pour contenir tout l’amour que j’avais pour Camille.

Sur le chemin du cimetière, je sens les regards sur moi. Certains adultes murmurent : « C’est trop dur pour un enfant… » Mais moi, je veux accompagner Camille jusqu’au bout.

Au retour à la maison, le silence est assourdissant. Les jours passent et rien ne change vraiment. Maman ne parle plus que pour dire « non ». Papa s’enferme dans le garage et tape sur des bouts de bois pour fabriquer je ne sais quoi.

Un soir, j’entends maman pleurer dans la salle de bain. Je m’approche doucement :
— Maman ?
Elle s’essuie les yeux et tente un sourire :
— Ça va mon chéri…
Mais je sais que ce n’est pas vrai.

À l’école, la maîtresse me propose d’écrire une lettre à Camille. J’écris : « Camille, tu me manques tous les jours. J’espère que tu joues avec les anges et que tu penses à moi. Je t’aime fort. Aurélien ».

Les semaines passent et la vie reprend doucement son cours. Mais rien n’est comme avant. À table, il manque une assiette. Dans le jardin, il manque un rire.

Un dimanche matin, papa propose d’aller planter un rosier sur la tombe de Camille.
— Tu veux venir ?
Je dis oui tout bas.
On creuse ensemble un trou dans la terre froide du cimetière. Papa pose le rosier et moi j’y enterre la peluche préférée de Camille.

Sur le chemin du retour, papa me prend la main :
— Tu sais Aurélien… ce n’est pas ta faute si Camille est partie.
Je baisse les yeux sans répondre.

À la maison, maman nous attend avec un gâteau au chocolat — le préféré de Camille. Pour la première fois depuis longtemps, on mange tous ensemble en silence mais ensemble quand même.

Parfois je me demande : pourquoi faut-il que des enfants partent si tôt ? Pourquoi les familles doivent-elles se déchirer au lieu de se soutenir ? Est-ce qu’on peut vraiment guérir d’un tel chagrin ?

Et vous… comment feriez-vous pour continuer à vivre après avoir perdu ce qu’il y a de plus précieux au monde ?