Sous le même toit, l’orage : Mon combat aux côtés de Claire

« Tu ne comprends donc rien ! » La voix de Claire résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes. Ce matin-là, tout a basculé. La veille, elle s’était plainte d’une douleur au ventre, mais Claire n’est pas du genre à se plaindre. Elle a toujours été forte, solide comme les pierres des quais du Rhône. Mais là, son visage était pâle, ses yeux cernés d’inquiétude.

« Je vais appeler le SAMU », ai-je dit, la gorge serrée. Elle a voulu protester, mais la douleur l’a pliée en deux. Les minutes ont filé dans un silence oppressant, seulement troublé par le bip du micro-ondes et le souffle court de Claire. Quand les ambulanciers sont arrivés, tout est allé trop vite : questions, examens, brancard. J’ai suivi la civière jusqu’à l’ambulance, incapable de prononcer un mot.

À l’hôpital Édouard-Herriot, le temps s’est figé. Les néons blafards, les odeurs d’antiseptique, les visages fermés du personnel… J’ai attendu des heures, assis sur une chaise en plastique, à fixer le carrelage blanc sale. Mon téléphone vibrait sans cesse : messages de ma mère, de mon frère Julien, de nos amis. Mais je n’avais rien à dire. Je ne savais rien.

Le médecin est venu me voir vers 15h. « Monsieur Dubois ? Votre épouse souffre d’une péritonite aiguë. Il faut opérer d’urgence. » J’ai senti mes jambes flancher. Claire allait être opérée, là, maintenant. J’ai signé des papiers sans les lire vraiment.

La nuit suivante fut la plus longue de ma vie. Je suis rentré seul dans notre appartement du 7e arrondissement. Tout me rappelait Claire : sa tasse préférée sur l’évier, son foulard sur la chaise, son parfum dans la salle de bain. J’ai pleuré comme un enfant, honteux de ma faiblesse.

Le lendemain matin, j’ai retrouvé Claire en salle de réveil. Elle était méconnaissable : pâle, branchée à des machines qui bipaient doucement. J’ai pris sa main glacée dans la mienne.

— Tu es là…
— Toujours, ai-je murmuré.

Mais la maladie ne s’arrête pas à l’opération. Les jours suivants ont été un calvaire : complications, fièvre persistante, inquiétude des médecins. Je faisais des allers-retours entre l’hôpital et la maison, jonglant avec mon travail à distance et les courses. Ma belle-mère, Madame Lefèvre, est venue s’installer chez nous pour « m’aider ». Rapidement, la tension est montée.

— Tu ne fais pas assez attention à Claire !
— Je fais ce que je peux !

Les reproches fusaient pour un rien : un plat trop salé, un oubli de linge propre à l’hôpital… J’avais l’impression d’être jugé en permanence.

Julien est passé un soir avec une bouteille de vin.
— Tu tiens le coup ?
— J’ai peur qu’elle ne s’en sorte pas…
— Elle est forte, ta Claire. Mais toi aussi tu dois tenir.

Ses mots m’ont touché. Mais comment tenir quand tout vacille ? Les factures s’accumulaient, mon patron commençait à s’impatienter devant mes absences répétées. Et puis il y avait notre fille Lucie, 8 ans, qui ne comprenait pas pourquoi maman ne rentrait pas.

— Papa, pourquoi maman reste à l’hôpital ?
— Elle est malade ma chérie… Mais elle va guérir.

Je mentais pour la rassurer mais moi-même je n’y croyais plus vraiment certains soirs.

Un soir d’orage, alors que je rentrais tard de l’hôpital, j’ai trouvé Madame Lefèvre en pleurs dans le salon.
— Je suis désolée… Je t’en demande trop…

On s’est serrés dans les bras comme deux naufragés. Ce soir-là j’ai compris que chacun souffrait à sa manière.

Après trois semaines d’angoisse et de nuits blanches, Claire a enfin pu rentrer à la maison. Elle était amaigrie, fatiguée mais vivante. Les premiers jours furent difficiles : il fallait l’aider à marcher, à se laver… Notre intimité avait changé ; j’étais devenu son infirmier plus que son mari.

Un soir où Lucie dormait déjà, Claire m’a regardé longuement.
— Tu sais… J’ai eu peur que tu partes.
— Jamais je ne t’abandonnerai.

On a pleuré ensemble dans le silence du salon lyonnais. Cette épreuve nous avait brisés mais aussi rapprochés d’une façon étrange.

Aujourd’hui encore je me demande : comment continuer à vivre normalement après avoir frôlé la perte ? Comment retrouver l’équilibre quand tout peut basculer en une seconde ? Est-ce que d’autres familles traversent ce genre d’orage sans sombrer ?