Le rêve de Paul : 15 000 livres pour les enfants oubliés
« Maman, pourquoi il n’y a pas de livres ici ? » Ma voix tremble un peu, mais je regarde maman droit dans les yeux. Elle détourne le regard, essuie une larme discrète. Je suis Paul, j’ai six ans, et depuis trois semaines, l’hôpital Édouard-Herriot est devenu ma maison. Les murs sont blancs, les odeurs piquent le nez, et les nuits sont longues. J’ai une leucémie, un mot trop grand pour moi, mais je sais que c’est grave parce que papa ne sourit plus vraiment.
Ce matin-là, je me réveille avec une idée qui me brûle le cœur. Je veux des livres. Pas seulement pour moi, mais pour tous les enfants qui dorment ici, branchés à des machines ou coincés sous des draps rêches. Je veux qu’on puisse s’évader, voyager loin d’ici, même si nos jambes ne nous portent plus.
« Paul, tu sais que ce n’est pas facile… » commence maman. Mais je la coupe : « On pourrait demander aux gens d’en donner ! Plein ! Pour tous les enfants ! » Elle me serre fort contre elle. Je sens son cœur battre vite. Elle promet d’essayer.
Les jours passent. Les traitements me fatiguent, mais chaque matin, je demande : « Combien de livres aujourd’hui ? » Papa a créé une page sur internet : “Le rêve de Paul”. Au début, il n’y a que quelques messages. Puis, un matin, maman arrive avec un carton : « Regarde Paul ! Des livres ! » Je saute sur le lit malgré la perfusion. Il y a “Le Petit Prince”, “Les Contes de Perrault”, même “Astérix” !
Bientôt, la chambre déborde de cartons. Les infirmières râlent gentiment : « Paul, tu vas transformer l’hôpital en bibliothèque ! » Je ris. C’est la première fois depuis longtemps.
Mais tout le monde n’est pas content. Mon grand frère Lucas en a marre : « On ne parle plus que de tes livres ! Moi aussi j’existe ! » Il claque la porte. Maman pleure en silence. Papa essaie de tout gérer : le travail, les cartons, Lucas… Je me sens coupable. Est-ce que mon rêve fait du mal à ma famille ?
Un soir, alors que la fièvre me cloue au lit, j’entends mes parents se disputer dans le couloir :
— On ne peut pas continuer comme ça !
— Mais c’est son rêve !
— Et Lucas ? Et nous ?
Je ferme les yeux très fort. Je voudrais disparaître. Mais le lendemain, Lucas vient s’asseoir près de moi. Il me tend un livre : « Tiens, c’est mon préféré… Tu peux le donner à un autre enfant si tu veux. » On ne dit rien d’autre. Mais je sais qu’il m’aime.
Les médias s’emparent de l’histoire. France 3 vient filmer ma chambre pleine de livres. Je souris à la caméra même si j’ai mal partout. On parle de moi à la radio. Des écoles organisent des collectes. Un monsieur du ministère appelle papa : « On pourrait installer des bibliothèques dans tous les hôpitaux de la région… grâce à Paul ! »
Mais mon corps est fatigué. Un matin, je n’arrive plus à ouvrir les yeux. J’entends maman murmurer : « On a dépassé les 15 000 livres… Tu as réussi mon chéri… »
Je pars doucement, entouré de mes histoires préférées et des voix de ceux que j’aime.
Aujourd’hui, il paraît qu’il y a une “Brigade des Livres de Paul” qui continue mon rêve dans toute la France. Les enfants malades reçoivent des livres et des lettres d’autres enfants. Parfois, Lucas vient raconter mon histoire dans les écoles.
Est-ce que mon rêve valait tous ces sacrifices ? Est-ce qu’on peut vraiment changer le monde avec des histoires ? Qu’en pensez-vous ?