« Je ferme la porte derrière moi, car je ne peux plus te regarder » – Le jour où mon monde s’est effondré
« Je ferme la porte derrière moi, Claire, parce que je ne peux plus te regarder. »
Ces mots résonnent encore dans ma tête, comme une cloche qui ne veut pas s’arrêter. Je me souviens du claquement sec de la porte d’entrée, ce matin de janvier où tout a basculé. J’étais debout dans le couloir, pieds nus sur le carrelage froid, la main crispée sur la rampe de l’escalier. Pierre venait de partir, après trente ans de mariage, sans un regard en arrière.
— Tu ne vas pas vraiment partir comme ça ? ai-je murmuré, la gorge serrée.
Il s’est arrêté une seconde, dos à moi. J’ai cru qu’il allait se retourner, me prendre dans ses bras, me dire que tout cela n’était qu’un mauvais rêve. Mais il a juste répété, plus bas :
— Je ferme la porte derrière moi, Claire…
Puis le silence. Un silence assourdissant qui a envahi tout l’appartement. J’ai entendu les pas de Pierre dans l’escalier, puis plus rien. Juste le tic-tac de l’horloge du salon et le bruit de mon cœur qui battait trop fort.
Je suis restée là longtemps, incapable de bouger. Les souvenirs défilaient devant mes yeux : nos vacances à La Baule avec les enfants petits, les dîners du dimanche chez mes parents à Nantes, les disputes pour des broutilles et les réconciliations sous la couette. Tout cela n’avait donc servi à rien ? Comment peut-on effacer trente ans d’une vie commune en une phrase ?
La première semaine a été un cauchemar. Je n’arrivais pas à dormir. Je tournais en rond dans l’appartement, je sentais partout l’odeur de Pierre : sur son oreiller, dans sa veste accrochée à l’entrée, sur sa tasse préférée. J’ai appelé ma sœur, Sophie, en pleine nuit.
— Il est parti… Il est vraiment parti…
Elle a accouru dès le lendemain matin avec des croissants et un regard inquiet. Elle a essayé de me consoler :
— Tu es forte, Claire. Tu vas t’en sortir. Tu as toujours été celle qui tenait tout le monde debout.
Mais je n’étais plus forte. Je n’étais plus rien. Juste une femme de 54 ans abandonnée du jour au lendemain, sans explication valable.
Les enfants ont été choqués. Camille m’a appelée en pleurant :
— Maman, comment papa a pu faire ça ? Est-ce qu’il t’a trompée ?
Je n’en savais rien. Pierre avait toujours été discret, pudique même dans ses sentiments. Il ne parlait jamais de ses états d’âme. Peut-être que je n’ai pas vu venir les signes… Ou peut-être que je n’ai pas voulu les voir.
Le pire a été le regard des autres. Les voisins qui baissaient les yeux dans l’ascenseur. Les collègues qui chuchotaient à la machine à café :
— Tu sais que le mari de Claire est parti ? Après trente ans…
J’avais honte. Honte d’avoir été quittée comme une vieille chaussette. Honte d’être seule alors que tous mes amis étaient encore en couple.
Un soir, j’ai croisé Pierre au marché du samedi matin. Il était avec une femme blonde que je ne connaissais pas. Ils riaient ensemble devant l’étal du fromager. J’ai senti une boule se former dans ma gorge.
— Claire…
Il m’a vue et s’est approché, mal à l’aise.
— Je voulais t’appeler…
— Ce n’est pas la peine.
J’ai tourné les talons avant qu’il ne voie mes larmes.
Les semaines ont passé. J’ai essayé de reprendre une routine : aller au travail à la médiathèque municipale, faire mes courses au Monoprix du coin, regarder des séries le soir pour ne pas penser. Mais chaque fois que je rentrais chez moi, l’absence de Pierre me sautait au visage.
Un jour, j’ai trouvé une lettre dans la boîte aux lettres. C’était son écriture.
« Claire,
Je sais que tu me détestes et tu as raison. Je n’ai pas eu le courage d’affronter notre histoire jusqu’au bout. J’ai rencontré quelqu’un d’autre et j’ai eu peur de te blesser davantage en restant. Je te souhaite de retrouver la paix et le bonheur que tu mérites.
Pierre »
J’ai relu cette lettre des dizaines de fois. Je croyais que ça m’aiderait à tourner la page mais non : ça faisait juste plus mal encore.
J’ai sombré dans une sorte d’apathie. Je ne voyais plus personne sauf Sophie et Camille qui insistaient pour venir dîner le dimanche soir. Un soir, Camille m’a prise dans ses bras et m’a dit :
— Maman, tu dois vivre pour toi maintenant. Papa ne reviendra pas mais tu as encore tant de choses à vivre.
J’ai éclaté en sanglots.
— Mais comment on fait pour recommencer à zéro à mon âge ? Comment on fait pour faire confiance à quelqu’un après ça ?
Elle n’a pas su répondre.
Un matin d’avril, j’ai décidé d’aller marcher sur les bords de Loire. Le soleil brillait timidement et les arbres étaient en fleurs. J’ai respiré profondément et j’ai senti pour la première fois depuis des mois un peu de légèreté dans l’air.
J’ai croisé un homme qui promenait son chien. Il m’a souri gentiment.
— Belle journée pour marcher, non ?
J’ai souri timidement.
— Oui… Ça fait du bien.
On a parlé quelques minutes du temps qu’il faisait, des chiens qui couraient partout, des jonquilles qui poussaient sur les berges. Rien d’extraordinaire mais c’était la première fois que je parlais à un inconnu sans avoir envie de pleurer.
En rentrant chez moi ce soir-là, j’ai ouvert grand les fenêtres et j’ai laissé entrer l’air frais du printemps. J’ai repensé à tout ce que j’avais perdu… mais aussi à tout ce qu’il me restait à découvrir.
Peut-on vraiment recommencer sa vie après avoir tout perdu ? Peut-on encore aimer quand on a été trahie si profondément ? Je n’ai pas encore toutes les réponses… Mais peut-être que vous, vous en avez.