Dîner chez moi : L’amour à l’épreuve des regards et des attentes

« Tu ne trouves pas ça bizarre, Camille, qu’il vienne toujours avec ses tupperwares ? »

La voix de Léa résonne encore dans ma tête alors que je débarrasse la table. Les rires étouffés de mes amis, le regard gêné de Julien, tout me revient en boucle. Ce soir-là, dans mon petit appartement du 11e arrondissement, l’ambiance était électrique. J’avais voulu leur présenter Julien, mon copain depuis trois mois, celui qui me fait sourire même dans le métro bondé. Mais à peine la porte refermée derrière eux, je me suis sentie envahie par le doute.

Julien, assis sur le canapé, jouait nerveusement avec la fermeture de son sac. « Tu crois qu’ils ont raison ? » ai-je fini par demander, la voix tremblante. Il a haussé les épaules, un sourire triste aux lèvres : « Je ne sais pas… Je voulais juste te faire plaisir. »

C’est vrai que Julien n’a pas les mêmes moyens que mes amis. Il est prof de français dans un collège de banlieue, passionné mais mal payé. Moi, je bosse dans une agence de communication où tout le monde parle de brunchs branchés et de voyages à Lisbonne. Julien, lui, préfère cuisiner chez lui et m’apporter des plats faits maison : gratin dauphinois, quiche lorraine, parfois même des crêpes pour le dessert. Mais pour Léa et Thomas, c’est « chelou », « pas très classe ».

Je me suis surprise à rougir devant leurs blagues : « Alors Camille, il t’a encore ramené des restes ? » J’ai ri jaune, pour ne pas faire d’histoires. Mais au fond, j’avais honte. Honte d’eux, honte de moi, honte de ne pas savoir défendre celui que j’aime.

Le lendemain matin, en allant au boulot, j’ai croisé ma mère au téléphone : « Tu sais ma chérie, il faut aussi penser à ton avenir. Un homme doit pouvoir t’offrir une certaine stabilité… »

Encore cette vieille rengaine. Comme si l’amour se mesurait à la taille du portefeuille ou au nombre d’étoiles sur TripAdvisor. Pourtant, je me suis surprise à compter : combien de fois Julien m’a-t-il invitée au restaurant ? Zéro. Et si mes amis avaient raison ?

Le soir même, j’ai retrouvé Julien au parc des Buttes-Chaumont. Il avait préparé un pique-nique : baguette croustillante, fromage affiné et une bouteille de vin rouge. On s’est assis sur l’herbe, loin du bruit et des jugements. Il m’a regardée droit dans les yeux : « Tu sais Camille, je n’ai pas grand-chose à offrir. Mais ce que je fais, je le fais avec le cœur. »

J’ai senti les larmes monter. J’ai pensé à mon père qui a quitté ma mère pour une femme plus jeune et plus riche. À toutes ces soirées où je me suis sentie invisible parmi mes propres amis parce que je n’avais pas la bonne marque de sac ou le bon resto à raconter.

« Est-ce que tu as honte de moi ? » a demandé Julien d’une voix douce.

J’ai secoué la tête, incapable de parler. Mais la vérité, c’est que j’avais honte de moi-même. Honte d’être influencée par les autres, honte de ne pas savoir ce que je voulais vraiment.

Les jours suivants ont été un enfer. Léa m’a envoyé des messages : « Tu devrais sortir avec quelqu’un qui te mérite vraiment », « Tu vaux mieux que ça ». Ma mère a insisté pour que je vienne dîner chez elle avec « un vrai homme ». Même mon frère Paul s’est permis une remarque : « Franchement Cam’, tu pourrais viser plus haut… »

J’ai commencé à éviter Julien. Je prétextais du travail, des réunions tardives. Il a compris tout de suite. Un soir, il est venu chez moi sans prévenir. Il avait les yeux rouges.

« Camille… Je ne veux pas être un poids pour toi. Si tu veux qu’on arrête… »

J’ai éclaté en sanglots. Tout est sorti d’un coup : la pression sociale, la peur du regard des autres, mon envie d’être aimée pour ce que je suis et non pour ce que je possède ou affiche.

Julien m’a prise dans ses bras sans rien dire. Pour la première fois depuis longtemps, je me suis sentie en sécurité.

Le lendemain, j’ai convoqué Léa et Thomas dans un café du Marais.

« Écoutez… Je vous aime beaucoup mais vos remarques sur Julien doivent cesser. Il n’a peut-être pas les moyens de vous impressionner mais il me rend heureuse. Et si ça vous dérange, alors c’est vous le problème, pas lui. »

Léa a levé les yeux au ciel : « Tu fais une erreur Camille… »

Mais pour la première fois, je n’en étais plus si sûre.

J’ai aussi parlé à ma mère : « Maman, l’amour ce n’est pas une question d’argent ou d’apparence. C’est ce qu’on construit ensemble qui compte. » Elle n’a rien répondu mais j’ai vu dans ses yeux qu’elle comprenait peut-être un peu.

Aujourd’hui, Julien et moi continuons notre histoire loin des jugements toxiques. On cuisine ensemble, on rit beaucoup et on rêve d’un petit voyage en Bretagne — même si ce n’est pas Bali ou New York.

Parfois je me demande : pourquoi est-ce si difficile d’assumer ses choix quand ils ne correspondent pas aux attentes des autres ? Est-ce qu’on doit vraiment sacrifier notre bonheur pour plaire à ceux qui ne comprennent rien à l’amour ? Qu’en pensez-vous ?