Entre Deux Feux : Ma Vie Entre Silence et Jugements

« Regarde-moi ces entremetteuses, comment elles se sont habillées ! Les adultes ne devraient pas se comporter comme des coqs. »

La voix de ma belle-mère, Monique, résonne encore dans ma tête. Ce soir-là, assise à la table familiale, j’ai senti tous les regards se tourner vers moi. J’aurais voulu disparaître. Monique n’a jamais caché son mépris pour moi, mais ce soir-là, elle l’a exposé au grand jour, devant toute la famille réunie pour l’anniversaire de mon mari, Guillaume.

Je m’appelle Ruby. Je suis née à Lyon, mais depuis trois ans, je vis à Paris pour mon travail dans une petite agence de communication. La vie parisienne n’a rien d’un rêve : je dors dans un dortoir exigu avec trois autres femmes, loin du confort d’un vrai foyer. Guillaume, lui, est resté à Lyon chez ses parents. Il est tout l’opposé de moi : drôle, sociable, aimé de tous. Quand il entre dans une pièce, les conversations s’animent. Moi, je me fonds dans le décor.

« Ruby, tu ne dis rien ? » La voix de Monique me ramène à la réalité. Je sens la chaleur monter à mes joues. Je voudrais répondre, mais les mots restent coincés. Guillaume rit pour détendre l’atmosphère : « Laisse-la, maman, elle est fatiguée du voyage. » Mais je vois bien dans ses yeux qu’il est gêné.

Depuis notre mariage arrangé par nos familles – une tradition qui persiste encore dans certains quartiers lyonnais – je me sens étrangère dans ma propre vie. J’ai accepté cette union pour faire plaisir à mes parents, persuadés que Guillaume était « un bon parti ». Mais personne ne m’a demandé ce que je voulais vraiment.

Le lendemain matin, je retourne à Paris. Dans le train, je regarde mon reflet dans la vitre. Qui suis-je devenue ? Une épouse silencieuse, une étrangère dans sa belle-famille, une inconnue pour son propre mari ?

Au travail, mes collègues parlent de leurs week-ends en famille, de leurs enfants qui grandissent trop vite. Moi, je souris poliment et je retourne à mon ordinateur. Le soir, dans le dortoir, j’écoute les confidences des autres femmes : l’une rêve d’ouvrir un salon de thé, l’autre pleure un amour perdu. Moi, je n’ose pas parler de ma vie. J’ai honte d’avouer que je ne me sens chez moi nulle part.

Un soir d’automne, alors que la pluie frappe les vitres du dortoir, je reçois un message de Guillaume : « Tu rentres ce week-end ? Maman veut organiser un dîner. » Je soupire. J’imagine déjà Monique scrutant ma tenue, commentant ma coiffure ou mon silence.

Le samedi soir venu, je franchis la porte de la maison familiale. Monique m’accueille d’un sourire forcé : « Tu as maigri, Ruby ? Ce n’est pas bon pour une femme mariée… » Je serre les dents. Guillaume tente de plaisanter : « Elle travaille trop ! » Mais personne ne rit.

Au cours du dîner, Monique lance soudain : « Tu sais, Ruby, dans notre famille on aime les femmes qui savent tenir une maison… » Je sens la colère monter en moi. Je voudrais lui dire que je travaille dur pour payer mon loyer à Paris, que je n’ai pas le luxe de rester à la maison comme elle l’a fait toute sa vie. Mais je me tais.

Après le repas, Guillaume me rejoint dans la chambre d’amis où je dors désormais lors de mes visites. Il s’assied au bord du lit : « Tu pourrais faire un effort avec maman… Elle veut juste t’aider à t’intégrer. »

Je le regarde avec tristesse : « Tu ne comprends pas… Elle ne veut pas m’aider, elle veut que je change. »

Il soupire et quitte la pièce sans un mot.

Les semaines passent et la distance entre Guillaume et moi grandit. Nos conversations se réduisent à des banalités : « Comment va le boulot ? », « Tu as bien mangé ? » Parfois, j’ai l’impression d’être invisible.

Un soir de décembre, alors que Paris s’illumine pour Noël, je décide d’appeler ma mère. Sa voix me réchauffe un peu le cœur : « Ma fille, tu dois parler à Guillaume… Tu ne peux pas continuer comme ça. »

Mais comment parler à un homme qui ne voit rien ? Qui préfère croire que tout va bien parce que c’est plus simple ?

Un matin glacial de janvier, je reçois un message inattendu de Monique : « Nous avons invité des amis ce dimanche. Il serait bien que tu sois présente et… habillée correctement cette fois-ci. »

Je craque. Je réponds sèchement : « Je viendrai comme je suis. Si cela ne vous convient pas, tant pis. »

Le dimanche venu, j’arrive vêtue simplement : un jean noir et un pull gris. Monique me dévisage mais ne dit rien devant ses invités. Mais au moment du dessert, elle ne peut s’empêcher : « Ruby aime la simplicité… Peut-être un peu trop ! » Les rires fusent autour de la table.

Je me lève brusquement : « Ça suffit ! Je ne suis pas un objet qu’on expose ou qu’on juge selon vos critères ! » Un silence glacial s’abat sur la pièce.

Guillaume tente de me retenir mais je quitte la maison en claquant la porte.

Dans le train du retour vers Paris, les larmes coulent sur mes joues. J’envoie un message à Guillaume : « Je ne peux plus continuer comme ça. J’ai besoin d’exister pour moi-même avant d’exister pour ta famille. »

Depuis ce jour-là, j’ai décidé de prendre soin de moi. J’ai commencé une thérapie pour retrouver confiance en moi et j’ai demandé une mutation pour changer d’agence et quitter le dortoir.

Guillaume m’a écrit plusieurs fois mais je n’ai pas répondu tout de suite. J’avais besoin de silence pour entendre enfin ma propre voix.

Aujourd’hui encore, je me demande : pourquoi tant de femmes doivent-elles choisir entre leur dignité et leur place dans une famille ? Est-ce vraiment cela l’amour ? Qu’en pensez-vous ?