Mon fils est revenu vivre chez moi après son divorce : quand le passé frappe à la porte

« Tu ne vas pas encore laisser traîner tes chaussures dans l’entrée, Franck ? » Ma voix tremble un peu, mais il ne répond pas. Il hausse les épaules, pose son sac sur la chaise du salon et file dans la chambre d’ami – celle qui était la sienne il y a vingt ans. Je reste plantée là, les bras croisés, le cœur serré. Je n’aurais jamais cru revivre ça : les bruits de ses pas, ses affaires partout, la porte qui claque. J’ai 62 ans, et j’ai élevé mon fils seule après que son père nous a quittés. J’ai cru qu’enfin, après toutes ces années à me sacrifier pour lui, j’aurais droit à un peu de tranquillité. Mais la vie a décidé de me rappeler que rien n’est jamais acquis.

Franck est revenu vivre chez moi il y a trois semaines. Son divorce a été brutal. Il n’en parle pas beaucoup – il marmonne juste que « tout s’est effondré d’un coup ». Je sais qu’il souffre, mais je ne sais plus comment l’aider. Il a 36 ans, il était cadre dans une grande boîte à Lyon, marié à une femme brillante, deux enfants magnifiques… et puis tout s’est écroulé. Il a perdu son travail, sa femme l’a quitté, il a dû vendre leur appartement. Maintenant, il dort dans la chambre d’ami et moi je fais semblant de ne pas entendre ses sanglots étouffés la nuit.

Je me souviens de la promesse qu’il me faisait quand il était petit : « Maman, plus tard je t’achèterai une maison avec un jardin ! » Il voulait me remercier pour tout ce que j’avais fait pour lui. Et c’est vrai qu’il m’a aidée quand il a commencé à bien gagner sa vie – il m’envoyait de l’argent tous les mois, en cachette de sa femme. Je n’ai jamais osé lui dire que ça me gênait. Je voulais juste qu’il soit heureux.

Mais aujourd’hui, c’est comme si tout recommençait à zéro. Je retrouve le Franck adolescent : boudeur, silencieux, enfermé dans ses problèmes. Sauf que cette fois-ci, c’est moi qui suis fatiguée. Je n’ai plus l’énergie d’avant. La maison est sans dessus dessous : ses cartons s’entassent dans le couloir, la cuisine déborde de vaisselle sale, et je n’ose plus inviter mes amies à prendre le thé. J’ai honte de ce chaos.

Un soir, alors que je prépare une soupe, Franck débarque dans la cuisine. Il s’assoit sans un mot et fixe le carrelage. Je sens qu’il veut parler mais qu’il n’y arrive pas. Alors je pose la louche et je m’assieds en face de lui.

— Tu veux en parler ?

Il secoue la tête.

— Tu sais, tu peux rester ici aussi longtemps que tu veux… Mais il faut qu’on trouve un équilibre.

Il relève les yeux vers moi, rouges et fatigués.

— Je suis désolé de t’imposer ça, maman. J’ai l’impression d’être un raté.

Je prends sa main dans la mienne. Elle est moite, tremblante.

— Tu n’es pas un raté. Tu traverses une mauvaise passe. Mais tu dois aussi penser à moi. J’ai besoin de calme…

Il se lève brusquement.

— Tu veux que je parte ?

— Non ! Ce n’est pas ce que je veux dire… Mais on ne peut pas continuer comme ça. On doit se parler, s’organiser…

Il quitte la pièce sans un mot de plus. Je reste seule avec ma soupe qui refroidit.

Les jours passent et rien ne change vraiment. Parfois il sort toute la journée sans prévenir ; parfois il reste enfermé dans sa chambre à jouer à des jeux vidéo comme un adolescent. Je m’inquiète pour lui mais je m’inquiète aussi pour moi : est-ce que je vais devoir renoncer à ma tranquillité pour toujours ?

Un dimanche matin, ma sœur Jacqueline débarque à l’improviste.

— Alors Mireille, comment ça va avec Franck ?

Je fonds en larmes devant elle. Elle me serre dans ses bras.

— Tu as le droit de penser à toi aussi, tu sais…

Mais comment faire ? Comment dire non à son propre enfant quand on l’a élevé seule ? Comment poser des limites sans culpabiliser ?

Le soir même, j’ose enfin parler franchement à Franck.

— Écoute, mon chéri… Je t’aime plus que tout mais je ne peux plus vivre dans ce désordre permanent. On doit trouver des règles : tu ranges tes affaires, tu participes aux courses et au ménage… Et surtout, tu dois commencer à chercher un nouveau logement.

Il me regarde comme si je venais de le trahir.

— Tu veux vraiment que je parte ?

— Non… Mais je veux que tu reprennes ta vie en main. Pour toi. Pour moi aussi.

Il ne répond pas tout de suite. Puis il soupire.

— D’accord… Je vais essayer.

Peu à peu, les choses s’améliorent. Il range un peu plus, il m’aide à préparer les repas. Il commence même à postuler pour des emplois – timidement d’abord, puis avec plus d’assurance. Un matin, il m’annonce qu’il a décroché un entretien.

Je sens une fierté mêlée d’inquiétude : va-t-il réussir à repartir ? Et moi, vais-je retrouver ma solitude tant désirée… ou vais-je regretter sa présence quand il sera parti ?

Parfois je me demande : jusqu’où doit-on aller par amour pour ses enfants ? Est-ce qu’on a le droit de penser à soi sans être une mauvaise mère ? Qu’en pensez-vous ?