Le Mariage de Ma Fille, ou le Prix de l’Amour
« Tu ne comprends jamais rien, maman ! »
La voix de Camille résonne encore dans la cuisine, alors que la porte claque derrière elle. Je reste là, figée, les mains tremblantes autour de ma tasse de café à moitié froide. Mon mari, François, me lance un regard impuissant depuis le salon. Il n’a jamais su comment gérer les colères de notre fille aînée.
Tout a commencé il y a quelques semaines, après la réception de mariage. Un mariage somptueux, dans un château près de Tours, avec cent cinquante invités, un orchestre, des fleurs partout et une robe de créateur. Nous avons tout payé. Absolument tout. Camille voulait un mariage de princesse et nous avons voulu lui offrir ce rêve. François a puisé dans ses économies, j’ai renoncé à mes vacances en Bretagne cette année encore. Même mon fils Paul a aidé à installer les tables la veille du grand jour.
Mais ce matin-là, alors que je rangeais les derniers cartons de dragées dans le grenier, Camille est arrivée, furieuse. « Tu sais que les parents d’Alexis ont donné une enveloppe de 10 000 euros à leur fille pour son mariage ? » m’a-t-elle lancé sans préambule. Alexis, c’est sa meilleure amie d’enfance. Depuis qu’elle s’est mariée l’an dernier, Camille compare tout.
Je me suis sentie défaillir. « Mais Camille… Nous avons tout payé pour toi. La salle, le traiteur, la robe… Même le photographe ! »
Elle a haussé les épaules : « Oui mais… Vous auriez pu nous donner une enveloppe aussi, pour commencer notre vie. »
J’ai cru que mon cœur allait s’arrêter. J’ai pensé à toutes ces nuits blanches à calculer le budget, à chaque compromis accepté pour qu’elle ait la fête dont elle rêvait. J’ai pensé à François qui ne s’est pas acheté de nouvelle voiture depuis dix ans. À Paul qui a pris un job d’été pour aider à payer les fleurs.
« Camille, tu sais très bien que nous n’avons pas les moyens des parents d’Alexis… Et puis ton mariage était magnifique ! »
Elle a détourné les yeux : « Oui mais c’est pas pareil… »
Je n’ai pas su quoi répondre. Depuis ce jour-là, elle me parle à peine. Son mari, Julien — un garçon gentil mais discret — n’a rien dit pendant la dispute. Il n’a payé que les alliances, et encore, c’est sa grand-mère qui lui a offert l’argent.
Le soir même, j’ai tenté d’en parler à François.
— Elle ne se rend pas compte de ce qu’on a fait pour elle…
— C’est la génération d’aujourd’hui, Hélène. Ils croient que tout leur est dû.
Mais ce n’est pas si simple. Je repense à ma propre mère qui m’a offert une simple robe blanche cousue main pour mon mariage avec François. On avait fait la fête dans la salle des fêtes du village avec un buffet froid préparé par mes tantes. J’étais heureuse.
Camille n’a jamais manqué de rien. Peut-être est-ce là notre erreur ?
Les jours passent et la tension ne retombe pas. À chaque repas de famille, Camille évite mon regard. Paul tente de détendre l’atmosphère avec ses blagues maladroites mais rien n’y fait. Même Lucie, ma benjamine de seize ans, commence à se renfermer.
Un dimanche midi, alors que je sers le poulet rôti, Camille explose :
— J’aurais préféré moins de fleurs et plus d’argent pour m’installer !
François pose sa fourchette :
— Tu crois qu’on imprime des billets dans la cave ?
Camille se lève brusquement :
— Laisse tomber, vous ne comprendrez jamais !
Elle quitte la table en pleurant. Lucie court derrière elle.
Je reste là, désemparée. Ai-je échoué en tant que mère ? Est-ce que l’amour se mesure en euros ?
Le lendemain matin, je trouve une lettre sur la table de la cuisine. C’est Camille.
« Maman,
Je suis désolée pour hier. Je sais que vous avez fait beaucoup pour moi mais j’ai l’impression d’être toujours en retard sur les autres. Alexis part en voyage de noces à Bali, moi je dois retourner bosser lundi… Je t’aime mais parfois j’aimerais juste que tu comprennes ce que je ressens.
Camille »
Je relis la lettre plusieurs fois. Je comprends sa frustration mais je ne peux m’empêcher de ressentir une profonde injustice.
Le soir même, je l’appelle.
— Camille… Je t’aime tu sais ? On a fait ce qu’on a pu avec ce qu’on avait.
— Je sais maman… Mais c’est dur parfois.
— La vie est dure pour tout le monde ma chérie… Mais tu as eu un beau mariage et tu as Julien à tes côtés.
— Oui… Merci maman.
Le silence s’installe mais il est moins lourd qu’avant.
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je trop donné ou pas assez ? Où est la limite entre l’amour parental et le sacrifice ? Est-ce que nos enfants finiront par comprendre tout ce qu’on fait pour eux ?
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ?