Entre l’Amour et la Peur : Mon Mari Veut Que J’Abandonne Notre Fille

« Camille, tu dois être raisonnable. Tu n’es pas faite pour ça. »

La voix de Julien résonne encore dans ma tête, froide et tranchante comme une lame. Je serre un peu plus fort le petit corps chaud de Lucie contre moi, sentant son souffle paisible sur ma poitrine. Comment peut-il dire ça ? Comment peut-il me demander d’abandonner notre fille ?

Tout a commencé il y a trois semaines, à la maternité de l’hôpital de Tours. Après vingt heures de travail, j’ai cru mourir. Mais quand Lucie a poussé son premier cri, tout s’est effacé : la douleur, la peur, même la fatigue. Julien était là, mais il n’a pas pleuré. Il a juste regardé Lucie comme s’il ne savait pas quoi en faire.

Les premiers jours à la maison ont été un chaos silencieux. Ma mère, Françoise, venait chaque matin, déposait des plats surgelés et repartait sans un mot. Julien travaillait tard, rentrait en soupirant, évitait la chambre de Lucie. Un soir, alors que j’essayais d’allaiter en pleurant de douleur, il est entré dans la pièce.

— Tu n’y arrives pas, Camille. Regarde-toi… Tu n’as pas dormi depuis des jours. Tu es à bout.

J’ai voulu lui crier que c’était normal, que toutes les mères passaient par là. Mais les mots sont restés coincés dans ma gorge. Il a continué :

— On pourrait… on pourrait la confier à quelqu’un qui saura mieux s’en occuper. Une famille qui a déjà de l’expérience. On peut encore faire marche arrière.

J’ai cru que mon cœur allait exploser.

Depuis ce soir-là, tout est devenu plus lourd. Julien ne parle plus que de ça : « Tu ne travailles plus, on ne s’en sortira pas financièrement », « Tu n’as jamais été patiente », « Tu n’as pas eu de modèle ». Il me rappelle sans cesse que ma propre mère m’a élevée seule et qu’elle n’a jamais su montrer l’exemple.

Je me suis surprise à douter. Et si Julien avait raison ? Je suis fatiguée, je pleure pour un rien, je n’arrive même pas à préparer un biberon sans trembler. Mais chaque fois que Lucie me regarde avec ses grands yeux bleus, je sens une force en moi que je ne connaissais pas.

Un matin, alors que je changeais Lucie sur la table à langer, ma mère est entrée sans frapper.

— Il faut que tu sois forte, Camille. Les hommes ne comprennent rien à ça. Il faut te battre pour ta fille.

Ses mots m’ont réchauffée comme un rayon de soleil en hiver. Mais le soir même, Julien est rentré avec une brochure d’une association d’adoption.

— Regarde, ils peuvent nous aider à trouver une famille pour Lucie. On peut leur faire confiance.

J’ai éclaté :

— Tu veux qu’on abandonne notre fille ?! Tu veux qu’on fasse comme si elle n’avait jamais existé ?

Il a haussé les épaules :

— Je veux juste ce qu’il y a de mieux pour elle… et pour toi.

Mais ce qu’il ne comprend pas, c’est que Lucie EST ce qu’il y a de mieux pour moi.

Les jours passent et la tension monte. Ma belle-mère, Monique, appelle tous les soirs pour me dire que « certaines femmes ne sont pas faites pour être mères » et que « Julien mérite une vie normale ». Je me sens seule contre tous. Même mes amies s’éloignent ; elles ne savent pas quoi dire face à mon désespoir.

Un soir, alors que Lucie dort enfin et que la maison est plongée dans le silence, je me regarde dans le miroir : cernes violets, cheveux en bataille, mais dans mes bras une petite fille qui me sourit dans son sommeil. Je me demande si je suis vraiment capable d’être une bonne mère. Mais je sais aussi que l’amour que je ressens pour elle est plus fort que tout.

Julien me donne un ultimatum : « Soit tu acceptes de la confier à l’adoption, soit… » Il ne finit pas sa phrase mais je comprends : il partira.

Je passe la nuit à marcher dans l’appartement, Lucie contre moi. Je pense à toutes ces femmes qui se battent seules en France pour garder leurs enfants malgré la précarité, le jugement des autres, la solitude. Est-ce que je peux être l’une d’elles ?

Le lendemain matin, je prends une décision. J’appelle une assistante sociale du centre communal d’action sociale. Elle m’écoute sans juger, me donne des conseils pratiques et m’encourage à demander de l’aide autour de moi. Elle me rappelle que la maternité n’est jamais parfaite et qu’on a le droit d’avoir peur.

Quand Julien rentre ce soir-là, je l’attends dans le salon.

— Je ne donnerai pas Lucie. Si tu veux partir, pars. Mais moi je reste avec elle.

Il me regarde longtemps sans rien dire. Puis il prend ses affaires et claque la porte.

Je m’effondre en larmes mais au fond de moi une certitude naît : j’ai choisi l’amour plutôt que la peur.

Aujourd’hui encore je doute parfois. Mais chaque sourire de Lucie me rappelle pourquoi j’ai tenu bon.

Est-ce qu’on est jamais vraiment prêt à être parent ? Est-ce qu’on doit écouter ceux qui doutent de nous ou la petite voix qui bat au rythme du cœur de notre enfant ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?