Comment j’ai tenté de repousser les cousins indésirables qui gâchaient chaque fête de famille
« Tu ne vas pas encore inviter les Lefèvre, maman ? » Ma voix tremble un peu, mais je ne peux plus me taire. Dans la cuisine, l’odeur du gratin dauphinois flotte, mais l’ambiance est lourde. Maman soupire, essuie ses mains sur son tablier et me lance ce regard fatigué que je connais trop bien.
« Élodie, tu sais bien qu’ils viennent toujours, qu’on les invite ou non… »
C’est vrai. Depuis que je suis petite, les Lefèvre – cousins du côté de papa – débarquent à chaque anniversaire, Noël, ou même simple barbecue. Ils arrivent en retard, parlent fort, critiquent la déco, repartent avec des restes sans demander. Je me souviens encore de mes 12 ans : mon gâteau préféré avait disparu avant même que je souffle les bougies. Ma cousine Camille avait tout englouti avec un sourire narquois.
Mais aujourd’hui, c’est différent. J’ai 27 ans, c’est ma crémaillère dans mon petit appartement de Lyon. J’ai invité mes amis proches, mes parents, ma sœur Lucie. Pas les Lefèvre. Pourtant, à 19h30, alors que la fête bat son plein, la sonnette retentit. Je sens mon cœur se serrer.
« Surprise ! » crie tante Brigitte en entrant sans attendre qu’on l’invite. Derrière elle, Camille et son frère Hugo traînent des sacs remplis de bières bon marché et de chips. Mon père tente un sourire gêné. Maman s’affaire déjà à leur trouver des verres.
Je serre les poings. Cette fois, non. Je prends une grande inspiration et m’approche de Brigitte.
« Je ne savais pas que tu venais… »
Elle rit fort : « Tu sais bien qu’on ne rate jamais une fête chez les Dubois ! »
Autour de moi, mes amis échangent des regards perplexes. Lucie me glisse à l’oreille : « Tu vas rien dire ? »
La soirée se déroule comme d’habitude : Camille monopolise la playlist et Hugo finit la bouteille de vin que j’avais réservée pour le dessert. Brigitte critique la taille de mon salon (« C’est mignon… mais un peu petit, non ? ») et demande si je compte enfin trouver « un vrai travail ».
À minuit, alors que tout le monde s’apprête à partir, Brigitte propose d’organiser le prochain Noël chez moi. Je sens la colère monter.
Le lendemain matin, je retrouve Lucie au café du coin.
« Tu dois leur parler », dit-elle en touillant son chocolat chaud.
Je hoche la tête. Mais comment faire sans déclencher une guerre familiale ?
Le dimanche suivant, j’invite mes parents à déjeuner. Je pose ma fourchette et regarde maman droit dans les yeux :
« Je ne veux plus que les Lefèvre viennent sans invitation. C’est chez moi maintenant. »
Papa baisse les yeux. Maman soupire : « Tu sais bien que ça va faire des histoires… »
Mais je tiens bon. J’envoie un message à Brigitte :
« Salut Brigitte, pour les prochaines fêtes, merci de me prévenir avant de venir. J’aimerais organiser les choses différemment cette année. »
Pas de réponse pendant deux jours. Puis un message sec :
« On a toujours été invités chez vous. Si tu veux changer ça, c’est ton problème. »
Les semaines passent. L’anniversaire de Lucie approche. Cette fois, on décide de faire une petite fête entre sœurs dans un restaurant japonais du centre-ville. Pas d’adresse communiquée à la famille élargie.
Le soir venu, alors qu’on rit autour des makis, mon téléphone vibre :
« On est devant chez toi ! Où êtes-vous ? »
C’est Camille. Mon cœur bat la chamade. Je réponds simplement : « Désolée Camille, ce soir c’est entre sœurs. On se verra une autre fois. »
Le lendemain, le téléphone sonne sans arrêt : Brigitte laisse des messages furieux sur le répondeur, Hugo m’envoie des textos passifs-agressifs (« T’as changé depuis que t’as ton appart… »). Maman m’appelle en pleurant : « Tu vas détruire la famille ! »
Je doute. Ai-je eu tort ? Mais Lucie me serre la main : « Il fallait bien que quelqu’un pose des limites un jour. »
Les mois passent. Les Lefèvre boudent aux réunions familiales officielles – ils viennent mais restent froids avec moi et Lucie. Maman tente de recoller les morceaux mais je sens qu’elle comprend aussi mon besoin d’espace.
Un soir d’automne, alors que je rentre du travail sous la pluie lyonnaise, je croise Camille devant mon immeuble.
« Tu voulais vraiment qu’on ne vienne plus ? » demande-t-elle d’une voix tremblante.
Je respire profondément : « Je voulais juste qu’on me demande avant… Qu’on respecte mon espace comme je respecte le vôtre. »
Elle baisse les yeux : « On a toujours fait comme ça… Mais peut-être qu’on n’a jamais réfléchi à ce que tu ressentais vraiment. »
On reste là quelques minutes sous la pluie battante, sans rien dire.
Aujourd’hui encore, l’équilibre est fragile. Les fêtes sont plus calmes mais parfois teintées d’amertume. J’ai perdu un peu de cette insouciance familiale mais gagné en respect pour moi-même.
Est-ce égoïste de vouloir protéger son espace ? Ou faut-il toujours tout accepter au nom de la famille ? Qu’en pensez-vous ?