Pourquoi Mamie et Papi ne m’écoutent-ils jamais ? Le cri silencieux d’une petite fille

— Mais pourquoi tu ne joues pas avec ta poupée, Camille ?

La voix de Mamie résonne dans le salon, douce mais pleine d’attente. Je serre la boîte du kit de chimie que j’ai reçue de mes parents, les yeux brillants d’envie. Mais sur la table basse, trône la poupée blonde que Mamie m’a offerte, emballée dans un papier rose à motifs de cœurs. Je sens le regard de Papi, un peu bougon, qui s’attarde sur moi.

— Tu sais, à ton âge, ta maman adorait jouer à la dînette, ajoute-t-il en croisant les bras.

Je baisse la tête. Je ne veux pas les blesser. Mais pourquoi ne comprennent-ils pas que je ne suis pas maman ? Que je rêve de construire des fusées, pas de faire semblant de servir du thé à des poupées muettes ?

Chaque Noël, c’est la même scène. Les rires fusent, les assiettes débordent de bûche et de papillotes, mais au fond de moi, une petite tristesse s’installe. J’aime mes grands-parents, vraiment. Mais ils semblent enfermés dans une image de moi qui n’existe pas.

— Camille, viens montrer à Mamie comment tu coiffes ta poupée !

Je me force à sourire. Je prends la poupée, je passe la brosse dans ses cheveux synthétiques. Mamie me regarde avec tendresse, persuadée de me faire plaisir. Mais mon cœur n’y est pas.

Le soir venu, alors que tout le monde dort, je m’assois sur le rebord de la fenêtre de la chambre d’amis. J’observe les étoiles. Je pense à Thomas Pesquet, à Claudie Haigneré. Je rêve d’espace, d’infini. Pourquoi personne ne me demande ce qui me fait vraiment vibrer ?

Le lendemain matin, au petit-déjeuner, je tente une approche.

— Mamie, tu sais, j’aimerais bien avoir un livre sur les planètes…

Elle sourit gentiment.

— Oh ma chérie, tu as toute la vie pour lire ! Profite de ton enfance pour jouer à la poupée.

Papi hoche la tête.

— Les livres, c’est bien pour l’école. Mais une petite fille doit s’amuser !

Je sens une boule dans ma gorge. Pourquoi mes envies sont-elles toujours mises de côté ?

Plus tard dans la journée, je surprends une conversation entre mes parents et mes grands-parents dans la cuisine.

— Elle n’aime pas trop les poupées, vous savez… commence doucement maman.

— Mais enfin ! Toutes les petites filles aiment ça ! s’exclame Mamie. C’est normal !

Papa intervient :

— Camille est différente. Elle aime les sciences, les étoiles…

Papi soupire.

— À notre époque, on ne se posait pas toutes ces questions. On offrait des jouets de fille aux filles, des jouets de garçon aux garçons. C’est comme ça.

Je me sens invisible. Comme si mes rêves n’avaient pas leur place ici.

Le soir venu, je décide d’en parler directement à Mamie.

— Mamie… tu sais, j’aimerais vraiment qu’on m’écoute quand je dis ce que j’aime.

Elle me regarde, surprise.

— Mais on t’écoute, ma puce ! On veut juste te faire plaisir…

— Mais ce qui me ferait plaisir, c’est un télescope ou un livre sur l’espace…

Mamie reste silencieuse un instant. Puis elle caresse ma joue.

— Tu es bien différente de ta maman à ton âge…

Je souris timidement. Peut-être qu’elle commence à comprendre ?

Mais le lendemain matin, sous le sapin, une nouvelle poupée m’attend. Cette fois-ci, je n’arrive même plus à sourire. Je remercie poliment. Mais au fond de moi, je me sens trahie.

Après le repas, alors que tout le monde fait la sieste, je m’éclipse dans le jardin avec mon kit de chimie. J’essaie une expérience simple : faire mousser du vinaigre et du bicarbonate. Je ris toute seule devant la réaction effervescente. C’est ça qui me rend heureuse !

Mamie me rejoint discrètement.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

Je lui montre fièrement mon expérience.

— Tu veux essayer avec moi ?

Elle hésite puis s’assoit à côté de moi. Pour la première fois, elle semble curieuse.

— Tu sais… quand j’étais petite, j’aurais aimé faire ce genre de choses. Mais ce n’était pas pour les filles à l’époque…

Je vois une larme briller dans ses yeux. Peut-être qu’elle aussi a dû cacher ses rêves ?

Le soir venu, Mamie me serre fort dans ses bras.

— Promis, l’année prochaine on cherchera ensemble ton cadeau.

Je souris enfin sincèrement.

Mais au fond de moi subsiste une question : pourquoi faut-il tant d’efforts pour être entendu par ceux qu’on aime ? Est-ce que vous aussi, vous avez déjà eu l’impression que votre famille ne voyait pas vraiment qui vous êtes ?