Le dernier souhait de Paul : Quand un enfant change la vie d’une ville

— Maman, tu crois qu’ils ont des livres, les enfants à l’hôpital ?

La voix de Paul résonne encore dans ma tête, fragile et déterminée. Ce soir-là, il pleuvait sur Nantes. Les gouttes frappaient la fenêtre de sa chambre, où les peluches s’alignaient comme des soldats fatigués. Paul, six ans, le crâne déjà dégarni par la chimio, me fixait avec ses grands yeux clairs. J’ai hésité avant de répondre. Comment lui dire que non, tous les enfants n’ont pas la chance d’avoir des histoires pour s’évader ?

— Je ne sais pas, mon cœur. Mais si tu veux, on peut leur en apporter.

Il a souri, ce sourire qui fendait la douleur et la peur. C’est ce soir-là que tout a commencé. Paul voulait rassembler 15 000 livres pour les enfants hospitalisés. Quinze mille ! J’ai ri nerveusement :

— Tu sais combien ça fait, 15 000 ?

Il a haussé les épaules :

— Beaucoup. Mais si tout le monde aide…

Je n’ai pas dormi cette nuit-là. J’écoutais sa respiration irrégulière, je pensais à ce chiffre fou. Le lendemain, j’ai posté un message sur Facebook : « Mon fils Paul rêve d’offrir 15 000 livres aux enfants malades. Qui veut nous aider ? »

Au début, seuls nos proches ont répondu. Ma sœur Claire a vidé sa bibliothèque jeunesse, mon voisin Monsieur Lefèvre a déposé un carton devant notre porte. Mais très vite, tout s’est emballé. Des inconnus ont sonné chez nous, les bras chargés de livres. La librairie du centre-ville a lancé une collecte. Même l’école de Paul s’est mobilisée :

— Madame Dubois, on a fait une affiche !

La maîtresse brandissait un panneau coloré : « Un livre pour un sourire ». Les enfants déposaient leurs trésors dans une grande caisse en carton. Paul était fier, mais fatigué. La maladie avançait plus vite que nous.

Un soir, alors que je triais les dons dans le salon, mon mari Antoine a craqué :

— On va trop loin… Il faut penser à Paul d’abord.

Je me suis effondrée.

— Mais c’est son rêve !

— Et s’il ne le voit jamais aboutir ?

Silence. Paul écoutait derrière la porte. Il est entré, pâle mais déterminé :

— Papa, même si je ne vois pas tous les livres, je sais qu’ils arriveront.

Antoine l’a serré contre lui, en larmes.

Les semaines ont filé. Les cartons s’empilaient dans le garage, puis dans le salon, puis chez les voisins. La presse locale est venue filmer Paul entouré de montagnes de livres. Il souriait timidement à la caméra :

— Je veux que les enfants aient moins peur à l’hôpital.

Mais la maladie ne pardonne pas. Un matin de mai, Paul n’a pas ouvert les yeux. Le silence dans la maison était assourdissant. J’ai cru que tout s’arrêterait là.

Mais non. Les livres continuaient d’arriver. Des lettres aussi : « Pour Paul », « Merci pour le sourire », « On pense à vous ». La mairie nous a proposé une salle pour trier les dons. Des bénévoles sont venus chaque week-end : étudiants, retraités, parents d’enfants malades.

Un jour, alors que je rangeais un album illustré, une petite fille m’a prise par la main :

— C’est grâce à Paul si j’ai eu ce livre ?

J’ai hoché la tête en retenant mes larmes.

— Il voulait que tu sois moins triste ici.

Elle a souri timidement et m’a tendu un dessin : un soleil immense et un petit garçon qui lit sous un arbre.

Le projet est devenu une association : « Les Livres de Paul ». On a dépassé les 15 000 livres en quelques mois. Aujourd’hui, chaque hôpital du département reçoit des cartons remplis d’histoires et de couleurs. Parfois, je croise des parents dans les couloirs blancs qui me reconnaissent :

— Vous êtes la maman de Paul ? Merci…

Je réponds toujours la même chose :

— C’est lui qu’il faut remercier.

Le vide laissé par Paul est immense. Mais son rêve continue de grandir. Parfois je me demande : est-ce que c’est ça, survivre au chagrin ? Transformer la douleur en lumière pour les autres ? Est-ce que vous aussi, vous croyez qu’un enfant peut changer le monde ?