« Pourquoi tu ne cuisines jamais comme la femme de Paul ? » : Chronique d’un dîner qui a tout changé
« Tu sais, Sophie, la blanquette de veau de Claire était incroyable hier soir. Et puis, elle avait préparé trois desserts différents… Tu pourrais peut-être t’en inspirer ? »
La voix de François résonne encore dans ma tête alors que je débarrasse les assiettes à moitié pleines. Je serre la mâchoire. Les enfants, Lucie et Maxime, se chamaillent pour la dernière compote, indifférents à la tension qui s’épaissit dans la pièce. Je me retiens de claquer la porte du lave-vaisselle.
Je n’ai jamais aimé cuisiner. Pas comme Claire, la femme de Paul, qui passe ses week-ends à tester des recettes trouvées sur Marmiton ou dans les émissions de Cyril Lignac. Moi, je rentre du boulot à 19h, lessivée par le métro bondé et les réunions interminables. J’ouvre le frigo, j’assemble ce que je trouve : pâtes, omelette, salade. Simple, efficace. Mais apparemment, pas assez pour François.
« Tu pourrais au moins essayer de changer un peu… On mange toujours la même chose ici », insiste-t-il en rangeant son téléphone. Je sens la colère monter. Je voudrais lui hurler que je fais déjà tout : les courses, les devoirs, les lessives, les rendez-vous chez le pédiatre. Que lui, il rentre, il s’assoit, il attend que tout soit prêt.
Je me souviens de notre première année ensemble. On riait en mangeant des pizzas sur le canapé. Il disait aimer ma spontanéité, ma façon de ne pas me prendre la tête. Aujourd’hui, il me compare à Claire, qui ne travaille qu’à mi-temps et dont les enfants sont déjà grands.
« Tu sais, maman, chez Paul ils ont mangé des lasagnes maison hier ! » s’exclame Lucie avec enthousiasme. Je ravale mes larmes. Même mes enfants semblent préférer l’assiette d’ailleurs.
Plus tard dans la soirée, je m’effondre sur le canapé. Mon téléphone vibre : un message de Claire. « Merci encore pour hier ! On s’est régalés avec ta tarte aux pommes. » Ironie du sort : c’est elle qui admire ma simplicité.
François s’approche timidement :
— Tu m’en veux ?
— Non… Enfin si. Tu ne comprends pas que je n’ai pas le temps ni l’énergie ?
Il soupire :
— Mais regarde Claire…
Je l’interromps :
— Arrête ! Claire n’a pas les mêmes contraintes que moi. Elle ne court pas partout toute la journée !
Il baisse les yeux. Un silence lourd s’installe.
Le lendemain matin, je pars travailler sans un mot. Dans le métro, je repense à ma mère qui jonglait déjà entre son boulot d’infirmière et nos repas surgelés. Elle disait toujours : « L’important c’est d’être ensemble, pas ce qu’il y a dans l’assiette. »
Au bureau, je confie mes doutes à mon amie Camille :
— J’ai l’impression d’être une mauvaise mère… une mauvaise épouse.
Elle rit doucement :
— Tu fais ce que tu peux. Et puis franchement, qui a le temps de faire des soufflés tous les soirs ?
Le soir venu, j’achète une pizza surgelée et une salade toute prête. À table, François ne dit rien. Les enfants dévorent leur part en silence.
Après le dîner, il me rejoint dans la cuisine :
— Je suis désolé pour hier… Je crois que j’ai été injuste.
Je hoche la tête sans répondre.
— Tu veux qu’on cuisine ensemble ce week-end ? propose-t-il timidement.
Je souris malgré moi.
— Peut-être… Mais seulement si tu fais la vaisselle après !
On rit tous les deux. C’est fragile mais c’est un début.
Ce soir-là, en m’endormant, je me demande : pourquoi la société attend-elle toujours plus des femmes ? Pourquoi devrais-je me sentir coupable de ne pas être Claire ? Est-ce vraiment ça, être une bonne mère ou une bonne épouse ?
Et vous, vous sentez-vous parfois écrasé(e)s par ces comparaisons incessantes ? Où placez-vous vos propres limites dans votre famille ?