« Tu n’es pas faite pour être mère » : Le choix impossible de Camille
« Tu n’es pas faite pour être mère, Camille. Tu ne tiendras pas le coup. Donne-le à l’adoption, c’est mieux pour tout le monde. »
La voix de Julien résonne encore dans ma tête, froide et tranchante comme une lame. Je serre le drap entre mes doigts tremblants, allongée sur ce lit d’hôpital à la lumière blafarde. Ma mère, Françoise, tourne en rond dans la chambre, son visage fermé, les bras croisés. Mon père, Gérard, ne dit rien, mais son regard fuyant en dit long sur sa gêne. Je viens d’accoucher il y a à peine deux heures, et déjà, on me demande de choisir : garder mon bébé ou l’abandonner.
Tout avait pourtant si bien commencé. Ma grossesse s’était déroulée sans encombre. Les sages-femmes de la maternité de Tours me félicitaient à chaque visite : « Tout va bien, Camille, vous êtes en pleine forme ! » Même Julien semblait heureux au début, posant sa main sur mon ventre arrondi le soir devant la télé. Mais plus la date approchait, plus il s’éloignait. Il rentrait tard du travail, évitait les discussions sur l’avenir. Je sentais qu’il doutait, mais je refusais de voir la vérité en face.
Le jour de l’accouchement, tout a basculé. Après douze heures de travail épuisant, les médecins ont décidé d’une césarienne en urgence. J’ai à peine eu le temps de voir le visage minuscule de mon fils avant qu’on l’emporte en réanimation. « Il a du mal à respirer », m’a expliqué l’infirmière d’une voix douce mais inquiète. J’ai senti un vide immense s’ouvrir sous mes pieds.
Quand je me suis réveillée après l’opération, Julien était là, assis au bord du lit. Il ne m’a pas regardée dans les yeux. « Camille… On ne peut pas garder ce bébé. Tu n’es pas prête. Regarde-toi… »
J’ai cru que mon cœur allait exploser. Comment pouvait-il dire ça ? N’était-ce pas notre enfant ? J’ai cherché du soutien chez ma mère, mais elle a détourné le regard. « Tu sais bien que tu n’as jamais été très stable », a-t-elle murmuré. Les mots m’ont frappée comme des gifles.
Les jours suivants ont été un cauchemar éveillé. Mon fils, Paul, était branché à des machines dans une couveuse transparente. Je n’avais pas le droit de le prendre dans mes bras plus de quelques minutes par jour. Julien venait de moins en moins souvent. Un matin, il n’est pas revenu du tout.
J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je me sentais seule au monde, incapable de prendre la moindre décision. Les assistantes sociales défilaient dans ma chambre : « Vous savez, madame Martin, il y a beaucoup de familles qui rêvent d’adopter… »
Mais chaque fois que je posais les yeux sur Paul, si petit et si fragile, je sentais un amour féroce monter en moi. Je voulais me battre pour lui, même si tout le monde semblait penser que j’étais incapable d’être une bonne mère.
Un soir, alors que la pluie battait contre les vitres de la maternité, ma tante Sylvie est venue me voir. Elle s’est assise près de moi et m’a pris la main :
— Camille, tu sais… Quand ta cousine Élodie est née prématurée, on m’a aussi dit que je n’y arriverais jamais. Mais regarde-la aujourd’hui ! Parfois il faut juste croire en soi plus fort que les autres ne doutent de toi.
Ses mots m’ont réchauffé le cœur comme un rayon de soleil dans la tempête.
Le lendemain matin, j’ai demandé à voir Paul seule à seule. J’ai glissé ma main dans la sienne minuscule et j’ai murmuré :
— Je ne sais pas si je serai une bonne maman… Mais je promets d’essayer. Pour toi.
Quand Julien est revenu quelques jours plus tard avec ses valises pour annoncer qu’il partait définitivement, j’ai ressenti un mélange de tristesse et de soulagement. Il m’a lancé un dernier regard plein de reproches :
— Tu fais une erreur, Camille.
Mais cette fois-ci, je n’ai pas baissé les yeux.
Les semaines suivantes ont été difficiles. Les nuits blanches à l’hôpital, les angoisses face aux médecins qui parlaient de séquelles possibles pour Paul… Et puis les démarches administratives : la CAF qui tarde à verser les aides, la crainte de ne pas pouvoir payer le loyer toute seule dans mon petit appartement du quartier des Prébendes.
Ma mère a fini par revenir vers moi timidement :
— Tu veux que je t’aide un peu avec Paul ?
J’ai accepté sans un mot. Petit à petit, elle a appris à aimer ce petit-fils qu’elle n’attendait pas.
Aujourd’hui, Paul a six mois. Il rit aux éclats quand je lui fais des grimaces et serre fort mon doigt dans sa main potelée. Je suis fatiguée mais fière d’avoir tenu bon malgré tout.
Parfois je repense à ces jours sombres où tout le monde voulait décider à ma place ce qui était « mieux pour tout le monde ». Mais qui peut vraiment savoir ce qui est mieux pour une mère et son enfant ?
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce qu’on doit écouter ceux qui doutent de nous ou suivre son instinct coûte que coûte ?