Entre Deux Feux : Quand la Mère de Paul Devient Mon Ombre
« Tu as encore oublié de mettre la serviette sur le pain, Camille. »
La voix de Madame Lefèvre résonne dans la cuisine comme un couperet. Je serre les dents, les mains tremblantes sur la nappe à carreaux. Paul ne dit rien. Il se contente de hausser les épaules, le regard fuyant, comme s’il n’était qu’un invité dans sa propre maison.
C’est notre troisième dîner chez ses parents cette semaine. Trois fois où je me suis sentie disséquée, analysée, comparée à une liste invisible d’exigences maternelles. Trois fois où Paul a raconté nos moindres faits et gestes à sa mère, comme un enfant cherchant l’approbation.
« Tu sais, Paul m’a dit que tu n’aimais pas trop le poisson. Pourtant, ici, on en mange souvent. Il faudra t’y habituer si tu veux faire partie de la famille », ajoute-t-elle en me fixant d’un air entendu.
Je souris poliment, mais à l’intérieur, je bouillonne. J’ai envie de crier : « Et moi ? Est-ce que j’ai le droit d’exister autrement qu’à travers vos attentes ? » Mais Paul pose sa main sur la mienne sous la table, un geste qui se veut rassurant mais qui ne fait qu’ajouter à mon malaise.
Sur le chemin du retour, je me tourne vers lui :
— Tu lui racontes tout ? Même nos disputes ?
Il soupire :
— Elle s’inquiète pour moi, c’est tout. Elle veut juste être sûre que tu es la bonne personne.
— Et toi ? Tu veux quoi, Paul ?
Il ne répond pas. Le silence s’installe entre nous, lourd comme une chape de plomb.
Les semaines passent et la situation empire. Madame Lefèvre m’appelle sur mon portable pour me donner des conseils sur la lessive ou la façon de plier les draps. Elle débarque à l’improviste chez nous avec des plats cuisinés « parce que Paul aime ça ». Parfois, elle laisse traîner des remarques sur mon travail :
« Tu sais, une institutrice, ce n’est pas très stable comme métier… »
Je commence à douter de moi. Je me surprends à vérifier deux fois si le frigo est bien rangé avant qu’elle ne vienne. Je change ma façon de m’habiller pour plaire à ses goûts. Je perds peu à peu pied.
Un soir, alors que je rentre tard du travail, je trouve Paul assis dans le salon avec sa mère. Ils chuchotent. À mon entrée, ils se taisent brusquement.
— Camille, ta mère et moi discutions justement de ton projet de master… commence Paul.
Je le coupe net :
— Ma mère ?
Madame Lefèvre sourit :
— Oui, j’ai pensé qu’il serait bon que nous parlions toutes les deux de ton avenir. Après tout, tu fais partie de la famille maintenant.
Je sens une colère sourde monter en moi. Je me retiens de hurler. Je monte dans la chambre et claque la porte.
Plus tard dans la nuit, Paul me rejoint. Il tente de me prendre dans ses bras mais je le repousse.
— Tu dois choisir, Paul. Ta mère ou moi. Je ne peux plus vivre comme ça.
Il blêmit.
— Tu ne comprends pas… Elle a toujours été là pour moi. Je ne peux pas la laisser tomber.
— Et moi alors ? Je compte pour toi ?
Il détourne les yeux.
Les jours suivants sont un supplice. Paul devient distant. Madame Lefèvre m’envoie des messages passifs-agressifs : « J’espère que tu prends bien soin de mon fils… »
Un dimanche matin, je décide d’aller voir mes parents à Tours pour prendre du recul. Ma mère me serre fort dans ses bras :
— Tu n’as pas à te sacrifier pour plaire à quelqu’un qui ne te respecte pas.
Mon père ajoute :
— Un homme doit savoir couper le cordon s’il veut construire sa propre famille.
Leur soutien me donne du courage. Je rentre à Paris avec une décision en tête.
Le soir même, j’attends Paul dans le salon. Quand il rentre, je lui tends une lettre.
— C’est fini, Paul. J’ai besoin d’exister par moi-même, pas dans l’ombre de ta mère.
Il reste sans voix. Les larmes lui montent aux yeux mais il ne dit rien.
En quittant l’appartement avec ma valise, je croise Madame Lefèvre sur le palier. Elle me lance un regard triomphant.
— Je savais que tu n’étais pas faite pour lui.
Je lui réponds calmement :
— Peut-être… Mais au moins moi, je sais aimer sans posséder.
Aujourd’hui, des mois plus tard, je reconstruis ma vie loin de cette emprise toxique. Parfois je me demande : pourquoi tant d’hommes en France restent-ils prisonniers du regard maternel ? Est-ce à nous, les femmes, de payer le prix de cette dépendance ? Qu’en pensez-vous ?