« Je suis content que tu portes mon enfant, mais je pars » : Le choix de Camille
« Je suis content que tu portes mon enfant, mais je pars. »
La voix de Paul résonne encore dans ma tête, froide et tranchante comme la lame d’un couteau. Je me souviens de la lumière blafarde de la cuisine, du tic-tac de l’horloge au-dessus du frigo, et de la pluie qui martelait les carreaux. Je me tenais là, les mains tremblantes sur mon ventre à peine arrondi, incapable de croire ce que je venais d’entendre.
— Tu plaisantes, Paul ? Tu ne peux pas me laisser maintenant…
Il a détourné les yeux, évitant mon regard. Il a attrapé sa veste posée sur la chaise, l’a passée d’un geste brusque.
— Je suis désolé, Camille. J’ai rencontré quelqu’un d’autre. Je ne peux pas faire semblant.
J’ai senti mon cœur se briser net. Je n’ai rien dit. Je n’ai même pas pleuré. J’ai juste regardé la porte se refermer derrière lui, puis j’ai entendu le bruit de ses pas dans l’escalier, et enfin le silence. Un silence assourdissant.
Je suis restée là longtemps, figée, incapable de bouger. Je pensais à tout ce qu’on s’était promis, à nos projets de maison à la campagne, à nos soirées à refaire le monde dans ce petit appartement de Tours. Et maintenant ? Il partait. Il me laissait seule avec ce bébé qui grandissait en moi.
Le lendemain matin, j’ai appelé ma mère. Sa voix était inquiète au téléphone.
— Camille, tu vas bien ?
J’ai craqué. J’ai tout raconté. Le silence au bout du fil m’a glacée.
— Tu sais bien ce que ton père va dire…
Je savais. Mon père n’a jamais supporté l’idée qu’on puisse « faire les choses à l’envers ». Dans notre village près de Chinon, tout se sait vite. Une fille enceinte sans mari ? C’est un scandale.
Quand je suis rentrée chez mes parents pour leur annoncer la nouvelle, mon père a serré les mâchoires si fort que j’ai cru qu’il allait exploser.
— Tu te rends compte de ce que tu fais subir à ta mère ? À nous ?
Ma mère a pleuré en silence. Mon petit frère Louis m’a lancé un regard triste, comme s’il comprenait déjà que tout allait changer.
Les semaines ont passé. Le ventre s’est arrondi. Les regards dans le village sont devenus plus insistants. À la boulangerie, Madame Dupuis chuchotait avec sa voisine dès que je tournais le dos.
— Tu as entendu ? La petite Camille…
Je faisais semblant de ne rien entendre, mais chaque mot me blessait un peu plus. Je me sentais sale, coupable, alors que je n’avais rien fait de mal. C’est Paul qui était parti, pas moi !
Un soir, alors que je rentrais du travail, j’ai croisé Paul sur la place du marché. Il tenait la main d’une jeune femme blonde que je n’avais jamais vue. Ils riaient ensemble. Il m’a vue, a hésité une seconde, puis a détourné les yeux. J’ai senti une colère sourde monter en moi.
Le soir même, j’ai explosé devant ma mère.
— Pourquoi c’est toujours moi qu’on juge ? Pourquoi personne ne dit rien à Paul ? Lui aussi il est responsable !
Ma mère a soupiré.
— C’est comme ça ici… Les gens parlent beaucoup mais ils oublient vite.
Mais moi je n’oubliais rien.
La grossesse avançait et avec elle la peur : peur d’accoucher seule, peur de ne pas être à la hauteur, peur du regard des autres. Mais il y avait aussi des moments de lumière : quand Louis posait sa main sur mon ventre pour sentir le bébé bouger ; quand ma grand-mère m’a offert la petite couverture tricotée de mes premiers jours ; quand une voisine m’a glissé un mot doux dans ma boîte aux lettres : « Courage Camille, tu es forte. »
Le jour de l’accouchement est arrivé plus vite que prévu. J’étais seule à l’hôpital de Tours, entourée d’infirmières bienveillantes mais inconnues. J’ai hurlé ma douleur dans une chambre blanche où personne ne prononçait le prénom du père.
Quand j’ai tenu mon fils pour la première fois – Arthur – j’ai pleuré toutes les larmes que je retenais depuis des mois. Il était là, minuscule et parfait. À ce moment-là, j’ai compris que je n’avais pas besoin de Paul pour être heureuse.
Mais le retour au village a été difficile. Mon père ne parlait plus que par monosyllabes. Ma mère faisait tout pour m’aider mais je voyais bien qu’elle souffrait du regard des autres.
Un après-midi d’été, alors qu’Arthur avait trois mois, Paul est revenu. Il s’est arrêté devant la maison familiale.
— Je voulais voir le bébé…
J’ai hésité. J’aurais voulu lui hurler dessus, lui dire tout ce que j’avais sur le cœur. Mais Arthur s’est mis à pleurer et j’ai compris que c’était lui qui comptait maintenant.
Paul a pris Arthur dans ses bras quelques minutes puis il est reparti sans un mot d’excuse ni une promesse d’aide.
Aujourd’hui encore, je repense à cette soirée où tout a basculé. J’élève Arthur seule avec l’aide de ma famille – ou du moins ce qu’il en reste – et chaque jour est un combat contre les préjugés et la solitude.
Mais parfois je me demande : ai-je eu raison de tout affronter seule ? Aurais-je dû me battre pour garder Paul auprès de moi ? Ou faut-il accepter que certains chemins se font dans la douleur mais mènent à une force insoupçonnée ? Qu’en pensez-vous ?