« Veux-tu un enfant ? Commence par quitter la maison de ma mère » : Comment ma belle-mère a failli briser notre couple

— Tu veux vraiment qu’on ait un enfant, Georges ? Alors il faut que ta mère parte.

La voix d’Ariana résonne encore dans ma tête, froide et déterminée. Je suis resté figé, la fourchette suspendue au-dessus de mon assiette de gratin dauphinois. Ma mère, assise à l’autre bout de la table, n’a rien entendu — elle était plongée dans son éternel sudoku, les lunettes glissant sur le bout de son nez.

Je m’appelle Georges, j’ai 38 ans, et je vis à Lyon depuis toujours. Ma vie aurait pu être simple : un boulot stable à la SNCF, une maison héritée de mon père, une femme aimante. Mais il y a dix ans, tout a basculé. Ma femme, Madeleine, a décidé du jour au lendemain de partir à Paris pour « se retrouver ». Elle m’a laissé avec nos deux enfants et… sa mère, Odette. Depuis, Odette est restée. Elle disait que c’était temporaire, « le temps que Madeleine revienne ». Mais Madeleine n’est jamais revenue.

Au début, Odette était d’une aide précieuse. Elle s’occupait des enfants pendant que je travaillais, préparait des plats mijotés comme seule une vraie Lyonnaise sait le faire. Mais au fil des années, sa présence est devenue pesante. Elle commentait tout : la façon dont je rangeais les courses (« Tu mets toujours les yaourts devant, ça n’a pas de sens ! »), la manière dont j’éduquais mes enfants (« À mon époque, on ne répondait pas aux adultes »), même mes choix amoureux (« Ariana est gentille, mais elle n’a pas l’air très stable… »).

Quand j’ai rencontré Ariana il y a deux ans, j’ai cru revivre. Elle était différente : spontanée, drôle, pleine de projets. Elle voulait voyager, ouvrir une librairie, avoir un enfant. Mais très vite, elle a compris que ma vie était loin d’être libre. Odette était partout : dans le salon à regarder « Questions pour un champion », dans la cuisine à râler sur le sel, dans le jardin à critiquer la façon dont je tondais la pelouse.

Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres et que les enfants étaient chez leur mère pour les vacances scolaires, Ariana a craqué.

— Georges… Je ne peux plus vivre comme ça. J’ai l’impression d’être une invitée chez toi. Ta mère me regarde comme si j’étais une intruse. On ne peut pas construire quelque chose tant qu’elle est là.

J’ai senti la colère monter en moi — non pas contre Ariana, mais contre cette situation absurde qui me piégeait depuis trop longtemps.

— Tu veux que je mette ma belle-mère dehors ? Après tout ce qu’elle a fait pour moi ?

Ariana a soupiré, les yeux brillants d’émotion.

— Je ne te demande pas de l’abandonner. Mais tu dois choisir : ta vie d’homme ou ta vie de fils.

Cette phrase m’a hanté des semaines entières. Le matin, en croisant le regard fatigué d’Odette dans la cuisine ; le soir, en voyant Ariana s’endormir dos à moi. Je me sentais lâche et coupable à la fois.

Un dimanche matin, alors que je préparais le café, Odette est entrée dans la cuisine sans bruit.

— Tu sais Georges… Je ne suis pas aveugle. Je vois bien que ça ne va pas avec Ariana. Tu crois que c’est à cause de moi ?

J’ai baissé les yeux.

— Maman… Je ne sais plus quoi faire. J’ai l’impression d’étouffer.

Elle a posé sa main sur la mienne.

— Tu as le droit d’être heureux. Moi aussi j’ai eu ma vie. Peut-être qu’il est temps que je retourne chez moi…

Mais où était ce « chez elle » ? Son appartement avait été vendu pour payer les dettes de Madeleine. Elle n’avait plus rien à elle.

J’ai proposé qu’on cherche une résidence seniors ensemble. Odette a refusé net :

— Je ne suis pas encore bonne pour l’hospice !

Les semaines ont passé. Ariana s’est éloignée peu à peu. Un soir, elle a fait ses valises.

— Je t’aime Georges… Mais je veux un enfant avec un homme qui sait couper le cordon.

Elle est partie sans se retourner.

J’ai cru m’effondrer. Les enfants sont revenus de Paris ; ils ont senti tout de suite que quelque chose avait changé.

— Papa… Pourquoi Ariana n’est plus là ?

J’ai menti : « Elle avait besoin de réfléchir. » Mais la vérité me rongeait.

Un soir d’été, alors que je rentrais du travail, j’ai trouvé Odette assise sur le banc devant la maison. Elle regardait le ciel rougeoyant.

— Tu sais Georges… On ne vit qu’une fois. Il faut parfois savoir se choisir soi-même.

J’ai compris ce soir-là que je devais agir. J’ai aidé Odette à trouver un petit appartement HLM dans le quartier voisin. Ce fut dur — pour elle comme pour moi — mais nécessaire.

Quelques mois plus tard, j’ai revu Ariana par hasard sur les quais du Rhône. Elle tenait un livre à la main et souriait timidement.

— Tu as l’air changé…

J’ai souri à mon tour.

— J’apprends enfin à vivre pour moi.

Aujourd’hui encore, je me demande : fallait-il vraiment en arriver là ? Est-ce égoïste de vouloir sa propre vie ? Ou bien est-ce simplement humain ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?