Mon Mari, Cet Enfant : Quand la Campagne Devient un Champ de Bataille
— Camille, regarde ! On entend les oiseaux, pas les klaxons !
Julien tournoyait dans le jardin de mes parents, les bras écartés comme un gamin qui découvre la neige pour la première fois. Je l’observais depuis la terrasse, une tasse de café brûlant entre les mains, tentant de masquer mon malaise derrière un sourire crispé. Mes parents échangeaient un regard complice, amusés par l’enthousiasme débordant de mon mari.
— Tu ne trouves pas que c’est mille fois mieux que Paris ?
Sa voix résonnait dans l’air pur du matin. Je n’ai rien répondu. J’aimais la campagne, oui, mais à petites doses. Pour moi, c’était le décor des vacances, pas celui de la vie quotidienne. Julien, lui, semblait déjà prêt à planter sa tente au milieu du potager.
Le déjeuner fut un festival d’exclamations :
— Madame Martin, vos tomates sont incroyables !
— Pierre, comment tu fais pour avoir autant de fraises ?
Mon père souriait, flatté. Ma mère hochait la tête, ravie d’avoir un admirateur aussi expressif. Moi, je me sentais étrangère à cette euphorie. J’avais grandi ici, mais j’avais fui ce monde où tout le monde connaît tout le monde, où les secrets n’existent pas.
Après le repas, alors que mes parents faisaient la sieste, Julien m’a entraînée dehors.
— Camille, écoute-moi… On pourrait vivre ici. Vraiment !
J’ai éclaté de rire, croyant à une blague. Mais il était sérieux. Trop sérieux.
— Tu plaisantes ? Mon travail est à Paris. Nos amis sont là-bas. Et puis…
— Et puis quoi ? Tu ne veux pas qu’on soit heureux ?
Son ton était celui d’un enfant contrarié. J’ai senti la colère monter.
— Ce n’est pas ça ! Mais tu ne peux pas décider sur un coup de tête !
Il a baissé les yeux, vexé. Le silence s’est installé entre nous, lourd comme un orage d’été.
Le soir venu, alors que nous rentrions à Paris, Julien n’a presque pas parlé. Dans la voiture, il fixait la route d’un air boudeur. J’ai tenté de détendre l’atmosphère :
— Tu sais… On pourrait revenir plus souvent si tu veux.
— Ce n’est pas pareil. Ici, je me sens vivant.
Ses mots m’ont transpercée. Comme si notre vie ensemble ne suffisait plus à le rendre heureux.
Les semaines suivantes ont été un enfer. Julien passait ses soirées à regarder des annonces immobilières en Dordogne ou dans le Gers. Il me montrait des maisons en ruine avec des yeux brillants d’espoir.
— Regarde cette grange ! On pourrait la retaper ensemble !
Je n’en pouvais plus. Je rentrais tard du travail pour éviter ses rêves champêtres. Nos discussions tournaient en boucle :
— Tu refuses tout changement !
— Et toi, tu refuses de voir la réalité ! On ne peut pas tout quitter comme ça !
Un soir, il est rentré avec un panier de légumes bio du marché.
— Tu vois ? On peut déjà commencer à changer nos habitudes…
J’ai explosé :
— Arrête ! Tu joues à l’apprenti fermier mais tu ne sais même pas planter une salade !
Il a claqué la porte et est parti marcher toute la nuit.
Mes parents m’appelaient souvent pour prendre des nouvelles.
— Alors, Julien s’est remis de ses émotions rurales ?
Je riais jaune. Eux ne comprenaient pas ce qui se jouait vraiment : ce n’était pas qu’une question de lieu de vie. C’était une question de maturité. Julien fuyait les responsabilités, rêvait d’une vie simple sans voir les sacrifices que cela impliquait.
Un samedi matin, il m’a réveillée tôt.
— Camille… J’ai pris une décision. Je pars quelques jours chez tes parents. J’ai besoin d’y réfléchir.
Je l’ai regardé faire sa valise sans rien dire. J’étais partagée entre soulagement et tristesse.
Les jours suivants ont été étranges. L’appartement semblait vide sans ses idées farfelues et son énergie débordante. Mais je me suis surprise à respirer mieux.
Un soir, ma mère m’a appelée :
— Camille… Julien est là depuis trois jours. Il aide ton père au jardin mais… il ne parle presque pas.
J’ai senti une boule dans ma gorge. Avais-je été trop dure ? Ou était-ce lui qui refusait de grandir ?
Quand il est revenu à Paris, il avait changé. Plus calme, plus posé.
— Camille… Je comprends que j’ai été égoïste. Mais j’ai besoin de sens dans ma vie. Ici ou ailleurs… Je veux juste qu’on soit heureux ensemble.
J’ai pleuré dans ses bras. Nous avons parlé toute la nuit : de nos envies, de nos peurs, de nos rêves différents mais pas incompatibles.
Aujourd’hui encore, rien n’est résolu. Nous vivons toujours à Paris mais nous passons plus de temps à la campagne. Parfois je me demande : faut-il vraiment choisir entre ses racines et ses rêves ? Peut-on aimer quelqu’un qui refuse de grandir ? Ou faut-il apprendre à grandir ensemble ?