Quand tout s’effondre : l’histoire d’un appartement, d’une famille et de mes illusions
« Maman, il faut vendre l’appartement. Camille ne veut plus vivre avec moi, elle veut qu’on se sépare. »
La voix de Paul tremblait au téléphone, mais ce n’était pas la tristesse qui dominait. C’était une sorte de colère froide, dirigée contre moi, contre son père, contre le monde entier. J’ai senti mon cœur rater un battement. Je me suis assise sur le canapé du salon, là où, il y a à peine trois ans, Paul et Camille riaient encore en déballant les cartons de leur premier bébé.
« Mais Paul… tu sais bien que cet appartement, c’est tout ce qu’on a… »
Il a soupiré, exaspéré : « Tu ne comprends pas ! On n’a pas le choix. Camille ne veut plus vivre ici, elle dit que tout lui rappelle nos disputes. Et puis… on n’a pas les moyens d’acheter ailleurs. Si on vend, on pourra au moins louer quelque chose chacun de notre côté. »
Je n’ai rien répondu. J’ai repensé à ce jour où il est rentré à la maison, à vingt ans à peine, pour nous annoncer qu’il allait se marier. Son père et moi étions restés sans voix. Paul, notre fils unique, si brillant, si curieux de tout… Nous avions rêvé pour lui d’études longues, d’un avenir stable, d’une vie meilleure que la nôtre. Mais il avait rencontré Camille au lycée, et elle était tombée enceinte. Il avait insisté : « C’est mon choix. Je veux assumer. »
Nous avions accepté, parce qu’on ne refuse rien à son enfant. Nous avions même proposé qu’ils s’installent dans notre appartement familial à Lyon, le temps de se retourner. Nous étions partis vivre dans un petit deux-pièces en banlieue pour leur laisser de la place.
Mais aujourd’hui, tout s’effondrait.
Le soir même, j’ai attendu que mon mari rentre du travail pour lui annoncer la nouvelle. Il s’est contenté de hausser les épaules : « On aurait dû s’en douter… Ils étaient trop jeunes. »
J’ai eu envie de hurler. Pourquoi fallait-il toujours que ce soit moi qui porte tout ? Pourquoi Paul ne comprenait-il pas que cet appartement était notre seul bien ? Nous avions travaillé toute notre vie pour l’acheter, renoncé aux vacances, aux sorties… Et maintenant il fallait tout sacrifier pour réparer les erreurs de notre fils ?
Les jours suivants ont été un supplice. Paul nous appelait sans cesse : « Vous avez contacté l’agence ? Il faut faire vite ! On ne peut pas continuer à vivre comme ça… »
Un soir, il est venu dîner avec Camille et leur petite fille, Léa. L’ambiance était glaciale. Camille évitait mon regard ; Paul pianotait sur son téléphone. Au dessert, il a lâché : « C’est quand même pas normal qu’on soit obligés de louer un appart minable alors que vous avez un grand logement vide ! »
Mon mari a posé sa fourchette : « Paul, tu crois qu’on vit dans le luxe ? On s’est sacrifiés pour toi ! Tu n’as jamais manqué de rien… »
Paul a explosé : « C’est toujours pareil avec vous ! Vous ne comprenez rien à ma vie ! Vous croyez que c’est facile d’être père à vingt ans ? De voir sa femme partir ? Vous auriez préféré quoi ? Que je laisse tomber Camille et Léa ? »
J’ai senti les larmes monter. J’ai voulu lui dire que je l’aimais, que je voulais juste le protéger… Mais il était déjà debout, prêt à partir.
Après leur départ, j’ai pleuré toute la nuit. J’ai repensé à ma propre mère qui me disait toujours : « On élève des enfants pour qu’ils soient heureux, pas pour qu’ils nous rendent heureux. » Mais comment accepter de tout perdre pour un bonheur qui n’existe plus ?
La semaine suivante, nous avons mis l’appartement en vente. L’agent immobilier est passé prendre des photos ; j’ai rangé chaque pièce comme si c’était la dernière fois. J’ai retrouvé dans un tiroir un vieux dessin de Paul enfant : une maison avec un jardin et trois personnages qui se tenaient par la main.
Le soir où nous avons signé le compromis de vente, Paul n’est même pas venu. Il m’a envoyé un message sec : « Merci de faire ça pour nous. »
Depuis, il ne nous appelle presque plus. Il a trouvé un petit studio en centre-ville ; Camille vit chez sa sœur avec Léa. Ils se partagent la garde comme ils peuvent.
Mon mari fait semblant de ne pas souffrir mais je le vois bien : il passe ses soirées devant la télé sans rien dire. Moi, je tourne en rond dans notre nouveau logement trop petit, trop vide.
Parfois je me demande où nous avons échoué. Aurions-nous dû être plus fermes ? Aurions-nous dû refuser de céder l’appartement ? Ou bien est-ce ça, être parent : accepter de tout donner sans rien attendre en retour ?
Je regarde les photos de Paul enfant et je me demande : est-ce que j’ai fait ce qu’il fallait ? Est-ce que l’amour d’une mère suffit à réparer ce qui est brisé ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?