Le choix de mon fils : entre amour et désillusion
« Tu ne peux pas faire ça, Paul ! » Ma voix tremble, mais il ne se retourne même pas. Il est déjà devant la porte, prêt à partir. Je serre les poings, le cœur battant. Ce matin-là, je n’aurais jamais cru que ma vie basculerait à cause d’un simple dîner.
Tout a commencé il y a trois semaines, quand Paul, mon fils unique, m’a annoncé qu’il voulait épouser Camille. Je ne la connaissais pas vraiment, juste croisée deux ou trois fois à la sortie de la fac. Une fille discrète, polie, mais… je ne sais pas, il y avait quelque chose qui me dérangeait. Peut-être son silence, ou ce regard fuyant. Mais Paul était heureux, alors j’ai fait semblant d’être heureuse aussi.
Le vrai choc est venu quand il nous a invités, son père et moi, à rencontrer sa future belle-famille. « Ils sont simples, maman, mais très gentils », m’a-t-il assuré. J’ai souri, mais au fond de moi, une angoisse sourde grandissait.
Le soir du dîner, j’ai mis ma plus belle robe et préparé un gâteau maison. Nous sommes arrivés dans une petite maison de banlieue à Argenteuil. Dès l’entrée, une odeur âcre d’alcool m’a saisie. Dans le salon, le père de Camille, Gérard, était déjà rougeaud, une bouteille de pastis à la main. Il a crié : « Ah voilà les beaux-parents ! Entrez donc, on va fêter ça ! »
Je me suis figée. Mon mari a esquissé un sourire gêné. Paul a baissé les yeux. Camille est apparue derrière son père, pâle comme un linge. Sa mère, Hélène, s’est précipitée pour nous débarrasser de nos manteaux, murmurant des excuses à voix basse.
Le dîner a été un calvaire. Gérard n’a cessé de faire des blagues lourdes et déplacées. À un moment, il a tapé sur l’épaule de Paul : « Alors mon gars, t’es prêt à supporter ma fille ? Elle est comme sa mère, hein ! » Il a éclaté de rire. J’ai vu Camille se crisper et détourner la tête.
En rentrant chez nous ce soir-là, j’ai explosé :
— Paul, tu ne peux pas épouser cette fille ! Sa famille… c’est n’importe quoi !
Il m’a regardée avec une colère froide :
— Tu ne comprends rien ! Camille n’est pas sa famille ! Elle est différente !
Mais comment pouvait-il être aveugle à ce point ? Toute la nuit, je n’ai pas fermé l’œil. Je repensais à toutes ces émissions sur les familles brisées, les enfants malheureux… Moi qui ai toujours aidé les autres, qui ai donné de l’argent aux orphelinats et visité des enfants abandonnés avec mes collègues… Comment mon propre fils pouvait-il choisir une telle vie ?
Les jours suivants ont été tendus. Paul s’est enfermé dans le silence. Mon mari m’a reproché d’être trop dure : « Laisse-le vivre sa vie ! » Mais comment accepter qu’il gâche tout ?
Un soir, Camille est venue seule à la maison. Elle avait les yeux rouges.
— Madame Martin… je sais que vous ne m’aimez pas beaucoup…
J’ai voulu protester mais elle a continué :
— Je comprends vos inquiétudes. Mon père… il n’a jamais été facile. Mais je vous promets que je ferai tout pour rendre Paul heureux.
Sa voix tremblait. J’ai vu dans ses yeux une tristesse immense. Soudain, j’ai eu honte de mes jugements.
Mais le lendemain matin, Gérard a débarqué chez nous sans prévenir. Il était ivre mort et hurlait dans la rue : « Rendez-moi ma fille ! Vous croyez que vous valez mieux que nous ? » Les voisins sont sortis voir ce qui se passait. J’étais humiliée.
Paul a pris la défense de Camille :
— Ce n’est pas sa faute ! Arrêtez de la juger à cause de son père !
Mais moi, je n’en pouvais plus.
— Tu veux vraiment vivre avec ça toute ta vie ? Tu veux que tes enfants voient leur grand-père comme ça ?
Il m’a lancé un regard plein de haine :
— Je préfère ça plutôt que de devenir comme toi : froide et pleine de préjugés !
Il est parti en claquant la porte.
Depuis ce jour-là, je vis dans l’angoisse. Paul ne me parle presque plus. Mon mari fait comme si tout allait bien mais je vois bien qu’il souffre aussi. Camille essaie de recoller les morceaux mais je sens qu’elle est au bord du gouffre.
Je me demande chaque soir : ai-je eu raison d’essayer de protéger mon fils ? Ou ai-je tout détruit par peur et orgueil ? Est-ce que l’amour d’une mère doit tout accepter ? Ou faut-il parfois laisser ses enfants faire leurs propres erreurs ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?