Ma belle-mère vit chez nous depuis six mois : mon mari adore, moi je craque
— Tu pourrais au moins frapper avant d’entrer, Françoise !
Ma voix tremble. Je serre la poignée de la porte de la salle de bains, encore humide de vapeur. Françoise me regarde, impassible, son éternel gilet rose boutonné jusqu’au menton. Elle hausse les épaules, comme si j’étais l’intruse ici.
— Je croyais que tu étais sortie, Claire. J’ai besoin de mes médicaments.
Je ravale ma colère. Depuis six mois, c’est la même rengaine. Françoise, la mère de Julien, a débarqué chez nous après son opération du genou. Au début, c’était normal : elle ne pouvait pas marcher, il fallait l’aider à se laver, à s’habiller. Mais aujourd’hui ? Elle va mieux. Elle se déplace sans canne. Pourtant, elle est toujours là.
Julien trouve ça formidable. « C’est normal d’aider sa mère », répète-t-il. Mais moi ? Je ne dors plus. Je n’ai plus d’intimité. Même notre chat, Moustache, a déserté notre chambre pour dormir sur le canapé du salon, là où Françoise laisse toujours traîner un plaid qui sent la lavande.
Le soir, quand je rentre du travail, je retrouve Françoise installée devant la télé, un bol de soupe posé sur ses genoux.
— Tu as passé une bonne journée ?
Sa voix est douce mais je sens le reproche caché : pourquoi suis-je rentrée si tard ? Pourquoi n’ai-je pas pensé à acheter du pain ?
Julien arrive derrière moi et m’embrasse sur la joue.
— Maman a préparé des lasagnes !
Je souris, mais mon cœur se serre. Ce n’est pas chez moi ici. C’est chez elle. Chez eux.
Le week-end dernier, j’ai essayé d’en parler à Julien.
— Tu ne trouves pas que ça fait longtemps ? Elle va mieux maintenant… Peut-être qu’elle pourrait retourner chez elle ?
Il m’a regardée comme si j’étais un monstre.
— Tu veux qu’on la mette dehors ? Après tout ce qu’elle a fait pour moi ?
J’ai baissé les yeux. Je n’ai pas osé lui dire que je n’en peux plus. Que chaque matin, je me réveille avec l’angoisse de croiser Françoise dans le couloir en chemise de nuit. Que je rêve de pouvoir traîner en pyjama sans être jugée.
Sa sœur, Sophie, habite à Lyon et vient d’avoir un bébé. « Elle ne peut pas aider », dit Julien. Mais pourquoi tout repose-t-il sur moi ?
Un soir, alors que je plie le linge dans notre minuscule chambre, Françoise entre sans frapper.
— Tu sais, Claire… Je ne veux pas être un poids pour vous.
Je m’arrête net.
— Mais tu l’es, Françoise. Tu l’es vraiment.
Elle me regarde avec des yeux tristes. Je regrette aussitôt mes mots mais c’est trop tard. Elle sort sans rien dire.
Le lendemain matin, Julien est froid avec moi.
— Tu pourrais faire un effort…
Je me retiens de hurler. Faire un effort ? Et moi alors ? Qui pense à moi ?
Au travail, mes collègues remarquent mon air fatigué. « Ça va chez toi ? », demande Amélie à la pause café.
Je souris faiblement.
— Ma belle-mère vit chez nous depuis six mois…
Elle éclate de rire.
— Courage ! Moi, au bout d’une semaine, j’aurais explosé !
Mais ce n’est pas drôle. Ce soir-là, je rentre plus tard exprès. J’erre dans les rues du 12e arrondissement, espérant que tout sera réglé en mon absence. Mais rien ne change jamais.
Un dimanche matin, alors que je prépare le petit-déjeuner, Françoise s’assoit à table et me regarde longuement.
— Tu sais Claire… Je comprends que ce soit difficile pour toi. Mais tu dois comprendre aussi : je n’ai plus personne à Paris. Mon appartement est au quatrième sans ascenseur… Je ne peux pas y retourner seule.
Je m’effondre sur une chaise. Je n’avais jamais pensé à sa solitude. À sa peur de tomber dans l’escalier. À son sentiment d’être un fardeau.
Julien entre dans la cuisine et nous trouve toutes les deux en larmes.
— Qu’est-ce qui se passe ici ?
Françoise lui explique tout. Pour la première fois depuis des mois, il m’écoute vraiment.
— On pourrait peut-être chercher une solution ensemble… Un appartement adapté… Ou une aide à domicile…
Je hoche la tête. Je ne veux pas être celle qui met sa belle-mère dehors. Mais je ne veux plus non plus être celle qui s’oublie pour les autres.
Ce soir-là, dans notre lit minuscule, Julien me prend la main.
— Je suis désolé… J’aurais dû voir que tu souffrais aussi.
Je ferme les yeux et laisse couler mes larmes silencieuses.
Est-ce égoïste de vouloir retrouver sa vie de couple ? Est-ce mal de penser à soi quand tout le monde attend qu’on soit forte ?
Et vous… Jusqu’où iriez-vous par amour ou par devoir familial ?