Le choix impossible : Entre mon fils et ma belle-fille, mon cœur vacille
— Tu veux encore un peu de tarte, Camille ?
Le silence qui suit ma question est si lourd qu’il semble écraser la nappe blanche que j’ai repassée ce matin même. Guillaume, mon fils, regarde son assiette, les mains crispées sur sa fourchette. Camille, ma belle-fille, détourne les yeux vers la fenêtre, là où le soleil de juin éclaire les géraniums du balcon. Je sens que quelque chose va éclater. Mon cœur bat trop fort, mes mains tremblent légèrement alors que je sers une part de tarte aux fraises.
— Maman… commence Guillaume d’une voix rauque. On doit te dire quelque chose.
Je pose le couteau, le souffle court. Depuis des semaines, je sens la tension entre eux. Les appels de Camille se sont espacés, Guillaume rentre tard du travail et évite mes questions. Mais je n’étais pas prête à entendre ce qui suit.
— On va divorcer.
Le mot claque dans l’air comme une gifle. Je reste figée, incapable de parler. Camille baisse la tête, ses mains tremblent sur sa serviette. Guillaume me regarde enfin, les yeux brillants d’une tristesse que je n’ai jamais vue chez lui.
— Ce n’est pas ta faute, maman. On a essayé… Mais on n’y arrive plus.
Je voudrais hurler, pleurer, demander pourquoi. Mais je me contente d’un murmure :
— Depuis quand ?
Camille répond d’une voix brisée :
— Depuis plusieurs mois. On ne voulait pas t’inquiéter…
Je me lève brusquement, fais quelques pas dans le salon. Les souvenirs affluent : leur mariage à la mairie du 14e arrondissement, les rires partagés lors des vacances en Bretagne, les soirées à refaire le monde autour d’un verre de vin. Tout cela va disparaître ?
Guillaume se lève à son tour et s’approche de moi.
— Maman, je sais que tu tiens à Camille… Mais j’ai besoin de toi.
Je comprends soudain : il attend que je prenne parti. Que je choisisse entre mon fils et celle que j’ai accueillie comme ma propre fille depuis sept ans. Mon cœur se serre.
Camille s’avance timidement :
— Je ne veux pas te mettre dans une situation difficile… Mais tu comptes beaucoup pour moi aussi.
Je sens les larmes monter. Comment choisir ? Guillaume est mon fils unique, celui que j’ai élevé seule après la mort de son père. Mais Camille… Camille m’a apporté tant de douceur, de complicité féminine. Elle m’a confié ses doutes, ses rêves de maternité, ses peurs du lendemain.
Je repense à la dernière fois où nous avons ri ensemble, elle et moi, en préparant des crêpes pour la Chandeleur. À ce moment-là, rien ne laissait présager ce naufrage.
— Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?
Guillaume soupire :
— On s’est éloignés… Le travail, la routine… On ne se comprend plus.
Camille ajoute :
— J’ai essayé de sauver notre couple… Mais Guillaume ne veut plus faire d’efforts.
Guillaume se crispe :
— Ce n’est pas juste ! Tu sais très bien que c’est toi qui as voulu partir !
Le ton monte. Je me sens prise au piège entre leurs reproches croisés. Je voudrais qu’ils arrêtent, qu’ils redeviennent ces jeunes amoureux qui riaient sous la pluie lors de leur premier été ensemble.
Je m’assieds lourdement sur le canapé. Mon regard se pose sur la photo de famille accrochée au mur : nous trois souriants devant la cathédrale de Chartres. Était-ce déjà une illusion ?
— Et moi dans tout ça ? Qu’est-ce que je deviens ?
Guillaume s’agenouille devant moi :
— Tu restes ma mère. Mais j’aurai besoin de toi… Je ne veux pas te perdre en plus du reste.
Camille essuie une larme :
— Je comprends si tu dois t’éloigner… Mais sache que tu as été comme une mère pour moi.
Le silence retombe. Je sens leur attente peser sur mes épaules comme un fardeau insupportable. Comment choisir sans trahir l’un ou l’autre ?
Les jours suivants sont un supplice. Guillaume m’appelle chaque soir pour me raconter sa solitude dans son nouvel appartement du 13e arrondissement. Camille m’envoie des messages discrets pour prendre de mes nouvelles, m’invitant à prendre un café près du parc Montsouris.
Ma sœur Françoise me conseille sèchement :
— Tu dois soutenir ton fils avant tout ! C’est lui ta famille !
Mais mon amie Mireille me glisse à l’oreille :
— On ne choisit pas entre deux personnes qu’on aime… Essaie de garder le lien avec Camille si tu peux.
Je me débats avec mes souvenirs et mes regrets. Ai-je raté quelque chose ? Aurais-je pu prévenir ce désastre ?
Un soir, Guillaume débarque sans prévenir. Il s’effondre dans mes bras en sanglotant :
— Je suis perdu, maman… J’ai tout gâché.
Je le serre contre moi, revois le petit garçon qu’il était autrefois. Mais je pense aussi à Camille, seule dans son studio du 15e, sans famille à Paris.
Quelques jours plus tard, j’accepte l’invitation de Camille. Nous marchons longtemps sous les platanes du boulevard Saint-Jacques. Elle me confie sa peur de l’avenir, son sentiment d’échec.
— Je ne voulais pas te faire souffrir… Tu es la seule vraie famille que j’ai eue ici.
Je la prends dans mes bras. Je sens son chagrin vibrer contre mon épaule.
À chaque instant, je sens le regard des autres : voisins qui chuchotent sur notre famille « brisée », collègues qui me demandent si « ça va » avec une fausse compassion. En France, on parle beaucoup du divorce mais on oublie souvent les parents pris au piège entre deux feux.
Aujourd’hui encore, je marche sur un fil fragile entre eux deux. J’essaie d’être là pour Guillaume sans tourner le dos à Camille. Mais chaque geste est scruté, chaque mot analysé.
Parfois je me demande : est-ce trahir mon fils que d’aimer encore ma belle-fille ? Est-ce renoncer à moi-même que de choisir un camp ?
Et vous… Que feriez-vous à ma place ? Peut-on vraiment demander à une mère de choisir entre deux enfants du cœur ?