L’écho du silence : Solitude parisienne
« Tu vas encore rentrer tard, Camille ? » La voix de ma mère résonne dans mon oreille, même à travers l’écran de mon téléphone. Je suis déjà sur le palier de mon minuscule studio du 11ème arrondissement, les clés tremblant dans ma main. « Oui, maman. J’ai beaucoup de travail. » Mensonge. Ce soir, comme tant d’autres, je n’ai rien d’autre que le silence qui m’attend.
Je claque la porte derrière moi. Le bruit résonne dans l’appartement vide, un écho qui me rappelle à chaque fois que je suis seule. J’allume la radio pour masquer le vide, mais la voix du présentateur ne suffit pas à combler l’absence de chaleur humaine. Je m’effondre sur le canapé, les yeux fixés sur le plafond jauni par le temps. Paris, la ville lumière, mais mon appartement reste plongé dans l’ombre.
Je repense à la dernière dispute avec mon père. « Tu crois vraiment que tu peux t’en sortir toute seule ? Paris, ce n’est pas fait pour les rêveurs ! » Il avait claqué la porte du salon familial à Lyon, me laissant seule avec ma valise et mes ambitions. J’ai voulu lui prouver qu’il avait tort. Mais ce soir, je me demande s’il n’avait pas raison.
Le téléphone vibre. Un message de Lucie : « On sort ce soir ? » Je regarde l’écran sans répondre. Lucie, c’est l’amie d’enfance qui a tout réussi : un CDI dans une grande boîte, un copain attentionné, des parents fiers. Moi, je collectionne les CDD et les histoires sans lendemain. Je tape une réponse hésitante : « Pas ce soir, je suis crevée. » Encore un mensonge.
Je me lève pour préparer un thé. La bouilloire siffle, couvrant un instant le bruit de mes pensées. Je me surprends à parler toute seule : « Tu vas finir vieille fille avec ton chat, Camille… » Mais même le chat n’est qu’un projet que je repousse sans cesse.
Le lendemain matin, je me force à sortir. Dans le métro bondé, je croise des regards vides, des visages fermés par la fatigue ou l’indifférence. Une vieille dame me bouscule sans s’excuser. Je m’accroche à la barre métallique, tentant de ne pas vaciller sous le poids de l’anonymat.
Au bureau, tout le monde fait semblant d’être occupé. Mon chef, Monsieur Lefèvre, passe devant moi sans un mot. Je me noie dans des tableaux Excel, espérant que la journée passe plus vite. À midi, je déjeune seule au parc des Buttes-Chaumont, un sandwich à la main. Autour de moi, des groupes rient et partagent des anecdotes. Je souris tristement à mon reflet dans l’écran de mon téléphone.
Le soir venu, je décide de marcher au hasard dans les rues du Marais. Les vitrines brillent, les terrasses débordent de conversations animées. Soudain, une voix m’interpelle : « Camille ? » Je me retourne : c’est Antoine, un ancien camarade de fac que j’avais perdu de vue depuis des années.
— Ça alors ! Tu vis ici ?
— Oui… enfin, j’essaie.
On s’installe à une terrasse. Antoine parle beaucoup : il a monté une start-up qui marche bien, il voyage souvent… Mais il finit par avouer :
— Tu sais, parfois je me sens terriblement seul ici.
Son aveu me bouleverse. Je croyais être la seule à ressentir ce vide dans cette ville pleine de vie. On parle longtemps, on rit même un peu. Avant de partir, il me propose de se revoir.
De retour chez moi, je repense à cette soirée inattendue. Peut-être que la solitude n’est pas une fatalité mais une étape nécessaire pour se retrouver soi-même… ou pour oser tendre la main vers l’autre.
Quelques jours plus tard, ma mère m’appelle :
— Tu ne viens pas pour l’anniversaire de ta sœur ?
— Je… je ne sais pas encore.
Elle soupire :
— Tu nous manques tu sais.
Je raccroche en retenant mes larmes. Pourquoi est-ce si difficile d’admettre qu’on a besoin des autres ?
Le dimanche suivant, j’accepte enfin l’invitation de Lucie. On rit comme avant autour d’un verre de vin blanc sur les quais de Seine. Elle me confie ses propres doutes :
— Tu sais, parfois j’envie ta liberté…
Je souris tristement :
— Et moi j’envie ta stabilité.
On se serre la main en silence.
Ce soir-là, en rentrant chez moi, je regarde Paris par la fenêtre ouverte. Les bruits de la ville montent jusqu’à moi comme une promesse d’espoir.
Est-ce que la solitude est vraiment un choix ? Ou bien est-ce la peur d’être déçue qui m’empêche d’aller vers les autres ? Peut-on être libre sans jamais être entourée ? Qu’en pensez-vous ?