« Ce n’était pas un prêt, c’était pour aider » – L’histoire de ma vie et de mes économies envolées
« Tu sais bien que je te rembourserai, maman. »
La voix de mon gendre, Thomas, résonne encore dans ma tête, comme un écho douloureux. Je me revois, ce soir-là, assise à la table de la cuisine, les mains tremblantes sur la nappe en toile cirée. Ma fille, Camille, avait les yeux rouges d’avoir pleuré. Thomas évitait mon regard, triturant nerveusement sa tasse de café.
— Maman, on n’a plus le choix. La banque refuse de nous suivre pour la maison. Il nous manque quinze mille euros…
Je n’ai jamais aimé parler d’argent. Toute ma vie, j’ai compté chaque sou. Avec Pierre, mon défunt mari, on avait appris à se contenter de peu. Après sa mort, j’ai continué à économiser, par peur du lendemain. Ma retraite n’est pas bien grosse, mais je n’ai jamais voulu dépendre de personne.
Ce soir-là, j’ai senti le poids de la solitude et de l’âge. Camille me regardait avec cet espoir désespéré qui fend le cœur d’une mère. J’ai cédé.
— Je peux vous avancer l’argent… Mais ce n’est pas un prêt avec un échéancier. C’est… quand vous pourrez.
Thomas a souri, soulagé. Camille m’a serrée dans ses bras. J’ai puisé dans mes économies de toute une vie.
Les premiers mois, tout allait bien. Ils ont emménagé dans leur maison à Angers, m’invitant souvent à dîner. Je voyais ma petite-fille Lucie courir dans le jardin, et je me disais que j’avais fait ce qu’il fallait.
Mais peu à peu, les invitations se sont espacées. Les appels aussi. Quand je demandais des nouvelles du remboursement, Camille changeait de sujet.
Un soir d’hiver, alors que je grelottais sous ma vieille couverture dans mon petit appartement HLM de Cholet, j’ai osé appeler Thomas.
— Tu sais… Je commence à avoir du mal à joindre les deux bouts. Est-ce que vous pourriez commencer à me rendre un peu d’argent ?
Un silence gênant a suivi.
— Écoute, Françoise… On a eu des imprévus avec la chaudière et la voiture…
J’ai raccroché avec un goût amer dans la bouche. J’ai compris que je n’étais plus une priorité.
Les mois ont passé. Ma santé s’est fragilisée. J’ai dû renoncer à certains médicaments non remboursés. À la pharmacie, j’ai eu honte de demander des génériques moins chers.
Un jour, j’ai croisé ma voisine, Madame Lefèvre, qui m’a trouvée pâle.
— Ça ne va pas, Françoise ?
Je n’ai pas pu retenir mes larmes. Elle m’a prise dans ses bras et m’a conseillé d’en parler à Camille.
J’ai attendu un dimanche pour aller chez eux sans prévenir. J’espérais qu’en me voyant ainsi, ils comprendraient l’urgence.
Camille m’a ouvert la porte avec un sourire crispé.
— Maman ! Tu aurais pu appeler…
Dans le salon, Lucie jouait sur sa tablette flambant neuve. Thomas regardait le foot sur leur grand écran plat.
— Je suis venue parce que… j’ai vraiment besoin qu’on parle de l’argent que je vous ai prêté.
Thomas a soupiré bruyamment.
— Encore ça ? On t’a dit qu’on te rembourserait quand on pourrait !
Camille a baissé les yeux.
— Maman… On a beaucoup de charges…
J’ai senti la colère monter.
— Et moi ? Vous croyez que je vis comment ? Je me prive pour que vous puissiez avoir tout ça ?
Lucie a levé les yeux vers moi, effrayée par ma voix tremblante.
Thomas s’est levé brusquement.
— Tu exagères ! On ne t’a rien volé ! Tu as dit « quand il faudra » !
Je suis sortie en claquant la porte. Sur le chemin du retour, j’avais l’impression d’étouffer sous le poids de la trahison et de la honte.
Depuis ce jour-là, les relations se sont refroidies. Camille m’appelle moins souvent. Thomas ne décroche plus quand je tente de le joindre.
À la caisse du supermarché, je compte mes pièces en espérant que ma carte ne soit pas refusée. Je me prive de tout : plus de petits plaisirs, plus de sorties au cinéma avec mes amies du club des retraités.
Un soir, seule devant ma soupe tiède, j’ai repensé à toutes ces années d’efforts pour mettre de côté. À quoi bon ? Pour finir ainsi ?
J’en veux à Thomas, mais surtout à moi-même d’avoir cru que la famille était une garantie suffisante.
Je me demande : combien sommes-nous en France à vivre cette situation ? À croire que l’amour familial protège de tout ? Est-ce que la confiance doit toujours primer sur la prudence ?