Mon retour chez Léa : le prix amer de la famille

« Tu ne pouvais pas rester chez toi ? » La voix de Léa claque dans l’entrée, froide comme la pluie de novembre qui martèle les vitres derrière moi. Je serre la poignée de ma valise, le cœur battant. Je n’ai nulle part où aller. Après la rupture avec Thomas, j’ai tout perdu : l’appartement, les amis communs, même mon chat est resté avec lui. Il ne me restait que Léa, ma grande sœur, celle qui m’a toujours protégée quand on était petites à Lyon. Mais ce soir, dans notre ancien appartement partagé, je sens que je ne suis plus la bienvenue.

« Léa, je… Je n’ai pas d’autre solution. Je ne veux pas m’imposer… »

Elle soupire, se détourne. Derrière elle, Marc, son mari, me lance un regard que je n’arrive pas à déchiffrer. Il n’a jamais été très bavard avec moi, mais ce soir, il semble carrément hostile. « On avait une vie tranquille avant », marmonne-t-il en passant devant moi pour aller s’enfermer dans le salon.

Je pose ma valise dans le couloir. L’appartement a changé depuis mon départ il y a deux ans : des photos de vacances à Biarritz, un plaid moelleux sur le canapé, des plantes vertes partout. Je me sens étrangère dans ce lieu qui fut mon refuge.

Les premiers jours sont tendus. Léa travaille tard à la pharmacie, Marc rentre encore plus tard de son cabinet d’architecte. Je fais tout pour me rendre utile : je cuisine, je nettoie, je fais les courses. Mais chaque geste semble aggraver leur malaise. Un soir, alors que je prépare un gratin dauphinois — le plat préféré de Léa — elle explose :

« Tu crois que c’est en jouant à la parfaite petite sœur que tout va s’arranger ? Marc et moi, on n’a plus d’intimité ! »

Je ravale mes larmes. Je dors sur le canapé du salon ; chaque nuit, j’écoute leurs disputes à travers la cloison. Marc veut que je parte. Léa hésite. Elle me défend parfois, mais sa voix tremble.

Un samedi matin, alors que je sors acheter du pain, j’entends Marc au téléphone dans la cuisine :

« Je n’en peux plus, elle est partout ! Même au petit-déj’, elle me regarde comme si j’étais un intrus chez moi… »

Je m’arrête net sur le palier. Il parle de moi. J’ai envie de hurler que je ne veux pas être là non plus, que je donnerais tout pour retrouver ma vie d’avant.

Les semaines passent et la tension monte. Un soir de décembre, alors que la neige tombe sur les toits de la Croix-Rousse, Marc rentre plus tôt que d’habitude. Il pose une enveloppe sur la table.

« Je demande le divorce », annonce-t-il d’une voix blanche.

Léa s’effondre sur une chaise. Moi, je reste figée, incapable de respirer. Marc me lance un regard accusateur :

« Depuis qu’elle est là, tout va mal. Tu vois bien qu’on n’a plus rien à se dire… »

Léa se tourne vers moi, les yeux pleins de larmes et de colère :

« C’est ça que tu voulais ? Tu es contente maintenant ? »

Je tente de protester : « Léa, ce n’est pas ma faute… »

Mais elle ne m’écoute plus. Elle quitte la pièce en claquant la porte.

Les jours suivants sont un cauchemar. Léa ne me parle plus. Elle pleure sans cesse ou s’enferme dans sa chambre. Marc déménage chez un ami. L’appartement résonne du vide laissé par leur amour brisé.

Un soir, alors que je prépare du thé pour deux par habitude, Léa surgit dans la cuisine :

« Tu aurais dû partir dès le début ! Si tu nous avais laissés tranquilles… Peut-être qu’on aurait pu sauver notre couple ! »

Je sens la culpabilité m’envahir comme une vague glacée. Ai-je vraiment détruit leur bonheur ? Aurais-je dû m’effacer pour leur laisser une chance ?

Je passe mes journées à chercher un studio minuscule sur Le Bon Coin, à envoyer des CV pour des petits boulots à Lyon ou Villeurbanne. Mais rien ne vient. La solitude me ronge.

Un soir de janvier, Léa frappe timidement à ma porte.

« Je suis désolée… Je t’en veux mais… J’ai aussi peur d’être seule », murmure-t-elle.

Nous restons longtemps silencieuses, assises côte à côte sur le vieux canapé qui a vu tant de nos souvenirs d’enfance.

Aujourd’hui, Marc a refait sa vie ailleurs. Léa et moi tentons de recoller les morceaux de notre relation brisée. Mais rien ne sera plus jamais comme avant.

Parfois, je me demande : est-ce qu’on doit toujours sacrifier son propre bonheur pour celui des autres ? Est-ce que demander de l’aide à sa famille est un crime ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?