La Double Vie de Guillaume : Quand le Mensonge Dévore le Quotidien
« Tu as encore mangé dehors ? » Ma voix tremblait à peine, mais je sentais déjà la tension s’installer dans la cuisine. Guillaume posa sa serviette sur la table, évitant mon regard. Il sourit, ce sourire fatigué qu’il réservait aux soirs où il voulait éviter les discussions. « Oui, on a fêté un contrat au bureau. »
Mais ce soir-là, quelque chose sonnait faux. Depuis quelques semaines, il rentrait chaque soir repu, détendu, presque trop heureux pour quelqu’un qui se plaignait tant de son travail à la mairie de Nantes. Je n’avais rien dit au début. Après tout, n’était-ce pas normal de vouloir garder un peu de légèreté après une journée de travail ? Mais ce qui m’a alertée, c’est notre compte commun : aucune dépense pour ses déjeuners. Pas un ticket de carte bleue, pas un retrait. Rien.
J’ai commencé à surveiller les détails. Les horaires de Guillaume étaient devenus étranges : il partait tôt, rentrait parfois plus tôt que prévu, mais toujours avec une excuse. Un jour, il m’a dit qu’il devait rester tard pour une réunion ; il est rentré à 18h30, les bras chargés de courses. « J’ai eu une pause plus longue que prévu », a-t-il expliqué, sans me regarder.
Je me suis confiée à ma sœur, Claire. « Tu crois qu’il te trompe ? » a-t-elle murmuré lors d’un café au bord de l’Erdre. J’ai haussé les épaules, incapable de mettre un mot sur ce malaise qui me rongeait. « Je ne sais pas… Mais il y a quelque chose qu’il me cache. »
Un matin, alors qu’il était sous la douche, j’ai fouillé dans sa veste. Je n’en suis pas fière, mais la suspicion me dévorait. Dans la poche intérieure, j’ai trouvé une lettre de Pôle Emploi. Mon cœur s’est arrêté : « Monsieur Guillaume Lefèvre, suite à la fin de votre contrat… »
Je me suis assise sur le lit, la lettre tremblant dans mes mains. Il était donc au chômage depuis trois mois. Trois mois de mensonges, de faux horaires, de fausses réunions. Trois mois où il avait fait semblant d’aller travailler chaque matin.
Quand il est sorti de la salle de bain, je l’attendais, la lettre posée devant moi. Il a blêmi en la voyant. « Pourquoi tu fouilles dans mes affaires ? » Sa voix était sèche, défensive.
« Pourquoi tu me mens depuis tout ce temps ? » ai-je répliqué, les larmes montant malgré moi.
Le silence s’est abattu sur nous comme une chape de plomb. Il s’est assis en face de moi, le visage défait.
« Je voulais te protéger… Je voulais trouver un autre travail avant que tu ne t’inquiètes. Je n’ai rien dit parce que j’avais honte… »
J’ai éclaté : « Tu crois vraiment que c’est mieux ? Que je préfère vivre avec un inconnu plutôt qu’avec un homme qui traverse une épreuve ? »
Il a baissé les yeux. « Je passais mes journées à marcher dans Nantes… Je déjeunais chez ma mère parfois, ou je restais des heures à la bibliothèque municipale. J’avais peur que tu me voies comme un raté… »
Je me suis sentie trahie et coupable à la fois. Comment n’avais-je rien vu ? Comment avait-il pu croire que notre amour ne survivrait pas à une période difficile ?
Les jours suivants ont été tendus. J’ai évité ses regards, il a tenté maladroitement de reprendre une routine normale. Mais tout sonnait faux : les petits-déjeuners silencieux, les soirées devant la télé où chacun restait enfermé dans ses pensées.
Un soir, alors que je rangeais les courses, il est venu derrière moi et a posé sa main sur mon épaule.
« Je vais mieux maintenant… J’ai un entretien demain chez un assureur. Je ne veux plus te mentir. »
J’ai senti mes défenses s’effondrer. Je me suis retournée et je l’ai pris dans mes bras. « Ce n’est pas le chômage qui me fait peur… C’est l’idée que tu puisses croire que tu dois affronter ça seul. »
Nous avons parlé longtemps ce soir-là. De ses peurs, des miennes aussi – peur de l’avenir, peur de l’échec, peur de l’autre qui s’éloigne sans bruit.
Peu à peu, nous avons réappris à nous parler. Mais la confiance avait été ébranlée ; chaque petit secret prenait désormais des proportions énormes.
Ma mère m’a dit un jour : « Le vrai amour ne se mesure pas aux jours heureux mais à la façon dont on traverse les tempêtes ensemble. » J’y pense souvent.
Aujourd’hui encore, parfois je regarde Guillaume et je me demande : aurais-je préféré ne jamais savoir ? Ou bien est-ce cette épreuve qui nous a rendus plus forts ?
Et vous… jusqu’où iriez-vous pour protéger ceux que vous aimez ? Le mensonge peut-il vraiment préserver l’amour ou ne fait-il que le fragiliser ?