Quatre Murs, Un Secret : Notre Vie à l’Étroit
« Tu ne peux pas faire ça, Maman ! » La voix de Camille résonne dans la pièce unique, rebondissant sur les murs nus du studio. Je serre Lucas contre moi, tentant de lui masquer la tension qui s’installe comme une brume épaisse. Monique, sa mère, trône au milieu de nos maigres affaires, une valise cabossée à ses pieds. Elle ne cille pas. « Je n’ai nulle part où aller, Camille. Tu crois que ça m’amuse ? »
Je sens la colère monter en moi, mais je la ravale. Ce n’est pas le moment. Lucas me regarde avec ses grands yeux noisette, cherchant une explication. Comment lui dire que sa grand-mère va dormir sur le canapé-lit, là où il joue d’habitude ? Que nos nuits déjà courtes vont devenir des veillées d’angoisse ?
Le soir même, Monique s’installe. Elle déplie le vieux canapé, repoussant les jouets de Lucas du pied. Camille s’enferme dans la minuscule salle de bains pour pleurer en silence. Je fais semblant de ne rien voir. Nous dînons tous les quatre autour de la petite table branlante. Monique parle fort, comme pour combler le vide : « Tu te souviens, Camille, quand on vivait à Saint-Ouen ? On n’avait rien non plus, mais on riait ! » Camille ne répond pas. Lucas réclame un dessin animé ; il n’y a pas de place pour la télé.
Les jours passent et la tension s’accroît. Monique critique tout : la façon dont je range les courses (« Tu mets les yaourts au mauvais étage du frigo ! »), l’éducation de Lucas (« Il est trop gâté, ce petit ! »), même notre couple (« Vous ne vous parlez plus… »). Camille explose un soir : « Si tu n’es pas contente, tu peux repartir chez ta sœur ! » Monique se lève brusquement : « Ta sœur ne veut plus de moi non plus ! »
Je découvre alors ce que Camille m’avait caché : Monique a été mise dehors par sa propre famille après une dispute violente. Elle n’a plus d’argent, plus d’amis. Nous sommes son dernier refuge.
La promiscuité devient insupportable. Lucas fait des cauchemars et se réveille en hurlant. Je dors mal, Camille aussi. Nos disputes éclatent pour un rien : un tube de dentifrice mal refermé, une chaussette qui traîne. Un matin, je surprends Monique en train de fouiller dans nos papiers. « Je cherchais juste un timbre », dit-elle sans me regarder.
Un soir d’orage, alors que la pluie tambourine sur les vitres et que Lucas pleure dans son lit improvisé sous la table, Camille craque : « On ne peut plus continuer comme ça ! » Je la prends dans mes bras, mais je sens qu’elle glisse entre mes doigts. Monique nous observe du coin de l’œil.
Le lendemain, Camille part travailler plus tôt que d’habitude. Monique s’approche de moi pendant que je prépare le petit-déjeuner. Sa voix est rauque : « Tu crois que je ne vois pas ce qui se passe ? Vous allez vous séparer à cause de moi… » Je ne sais quoi répondre. Elle baisse la tête : « J’ai tout raté dans ma vie. Même ma fille me déteste maintenant… »
Je voudrais lui dire qu’elle exagère, mais au fond de moi je sens que quelque chose s’est brisé. Le soir même, Camille rentre tard. Elle a les yeux rouges. « J’ai parlé à l’assistante sociale », murmure-t-elle. « Il y a peut-être une solution pour Maman… »
Les semaines passent. Nous vivons comme des fantômes dans notre propre maison. Chacun évite l’autre ; les silences sont lourds comme des pierres. Un matin, Monique annonce qu’elle a trouvé une place en foyer pour femmes isolées. Elle partira dans deux jours.
Le jour du départ arrive enfin. Monique serre Lucas dans ses bras : « Sois sage, mon trésor. » Elle embrasse Camille sur le front ; ma compagne ne retient pas ses larmes. Avant de franchir la porte, Monique se tourne vers moi : « Merci… même si tu ne m’aimes pas beaucoup. »
Quand la porte claque derrière elle, le silence nous assomme. Lucas court vers ses jouets ; Camille s’effondre sur le lit.
Je regarde autour de moi ce studio qui nous a tant oppressés et qui soudain paraît immense.
Est-ce que l’amour suffit pour survivre à l’étouffement ? Ou faut-il parfois savoir lâcher prise pour se retrouver ?