Quand l’Amour S’efface : Chronique d’un Mariage Oublié

— Tu ne vas pas sortir comme ça, François ?

Il est 7h30 du matin, la lumière grise de Paris filtre à peine à travers les rideaux. Je regarde mon mari, assis à la table de la cuisine, son tee-shirt taché de café, son ventre débordant sur le bord du pantalon. Il ne me regarde même pas. Il attrape une autre tartine beurrée, la mâche sans conviction, les yeux rivés sur son téléphone.

Je me souviens du temps où il me lançait un sourire complice avant de partir travailler. Où il me demandait si j’avais bien dormi, où il me touchait la main en passant. Aujourd’hui, il ne voit plus que l’écran lumineux devant lui. Je me sens invisible.

— Tu devrais peut-être essayer les céréales ce matin, tu sais… Pour changer un peu ?

Il hausse les épaules sans répondre. J’entends le silence lourd entre nous, ce silence qui s’est installé depuis des mois. Je me demande quand tout a commencé à s’effriter. Peut-être après la naissance de notre fille, Camille. Ou peut-être bien avant, quand les habitudes ont remplacé les élans du cœur.

Le soir, je rentre du travail épuisée. Je trouve François affalé sur le canapé, une bière à la main, la télévision allumée sur un match de foot. Camille joue seule dans sa chambre. Je m’approche de lui.

— Tu pourrais venir m’aider à préparer le dîner ?

— J’arrive dans cinq minutes, répond-il sans détourner les yeux de l’écran.

Mais il ne vient jamais. Je prépare des pâtes en silence, j’entends les rires enregistrés d’une émission débile résonner dans le salon. Je serre les dents pour ne pas pleurer.

Un soir, je prends mon courage à deux mains.

— François, il faut qu’on parle.

Il soupire, pose sa bière sur la table basse.

— Quoi encore ?

— Je… Je ne me sens plus heureuse. J’ai l’impression que tu ne fais plus attention à moi, ni à toi-même d’ailleurs. Tu as changé…

Il me lance un regard fatigué.

— Tu crois que c’est facile pour moi ? Le boulot me stresse, j’ai pas envie de penser à ce que je mange ou à faire du sport en plus !

— Mais tu ne fais aucun effort ! Je te propose des promenades le week-end, tu refuses toujours. On ne sort plus jamais ensemble. Tu ne me touches même plus…

Il détourne les yeux.

— T’exagères…

Mais je vois bien qu’il sait que j’ai raison. Je sens la colère monter en moi, mêlée à une tristesse immense.

Les semaines passent. J’essaie d’organiser des sorties en famille : une balade au parc des Buttes-Chaumont, un pique-nique sur les bords de Seine. François trouve toujours une excuse : trop fatigué, trop froid, trop de monde. Je finis par y aller seule avec Camille.

Un samedi matin, alors que je range la chambre de Camille, je tombe sur un vieux album photo. Je feuillette les pages : nos vacances en Bretagne, nos sourires éclatants sur la plage de Saint-Malo, François qui me porte dans ses bras sous la pluie. Où est passé cet homme ? Où est passée cette femme heureuse que j’étais ?

Je m’effondre en larmes sur le lit de ma fille. Camille entre sans bruit et me serre fort dans ses bras.

— Maman, pourquoi tu pleures ?

Je n’ai pas la force de lui répondre.

Un soir d’automne, alors que la pluie tambourine contre les vitres, je surprends une conversation entre François et son frère au téléphone.

— Claire est devenue chiante… Elle veut toujours que je fasse attention à ce que je mange, elle râle tout le temps…

Je sens mon cœur se briser un peu plus. Je n’ai jamais voulu être cette femme-là. J’ai juste voulu qu’il prenne soin de lui, qu’il prenne soin de nous.

Je décide d’aller voir une psychologue. Elle s’appelle Madame Lefèvre. Dans son cabinet aux murs couleur lavande, je déverse tout : ma solitude, ma colère, mon sentiment d’échec.

— Vous avez essayé de lui dire ce que vous ressentez vraiment ?

— Oui… Mais il ne m’écoute pas. Il se ferme dès que j’aborde le sujet.

— Et vous ? Qu’est-ce qui vous rendrait heureuse aujourd’hui ?

La question me laisse sans voix. Je ne sais plus ce qui me rend heureuse.

Les mois passent. François s’enfonce dans sa routine ; moi dans ma tristesse. Nous vivons côte à côte comme deux étrangers sous le même toit. Les repas sont silencieux, les nuits froides. Parfois je rêve qu’il me prend dans ses bras comme avant, mais au réveil je retrouve son dos tourné vers moi.

Un dimanche matin, alors que je prépare le petit-déjeuner pour Camille et moi — François dort encore — elle me regarde avec ses grands yeux bleus.

— Maman, pourquoi papa ne vient jamais avec nous au parc ?

Je sens une boule dans ma gorge.

— Il est fatigué mon cœur…

Mais je sais que ce n’est pas vrai. Il a juste arrêté d’essayer.

Un soir d’hiver, après une dispute banale sur le rangement du salon, je prends ma décision. J’attends que Camille soit couchée et j’affronte François dans la cuisine.

— Je n’en peux plus François. On ne peut pas continuer comme ça. J’ai besoin d’autre chose… J’ai besoin de sentir que je compte pour toi.

Il reste silencieux longtemps puis murmure :

— Je suis désolé Claire… Je crois que je n’y arrive plus.

C’est la fin. Nous décidons de nous séparer quelques semaines plus tard. Pour Camille, nous essayons de rester cordiaux mais tout est devenu mécanique : les allers-retours entre deux appartements, les échanges polis mais vides de sens.

Parfois je croise François dans la rue avec sa nouvelle compagne — une collègue du bureau — mince et souriante. Il a perdu du poids. Il rit à nouveau.

Je me demande si c’était moi le problème ou si c’est juste la vie qui use l’amour jusqu’à le rendre méconnaissable.

Aujourd’hui encore, je repense à ces années perdues et je me demande : aurais-je pu faire autrement ? Est-ce vraiment possible d’aimer quelqu’un qui ne fait plus aucun effort pour vous ? Qu’en pensez-vous ?