Adieu, mais n’oublie pas tes déchets ! Charles a trouvé mes cheveux sur la chaise
« C’est quoi ça, Camille ?! »
La voix de Charles résonne dans l’appartement, tranchante comme une lame. Il tient entre ses doigts une longue mèche brune, la mienne, retrouvée sur la chaise du salon. Je reste figée, la main encore sur la poignée de la porte d’entrée. Il est vingt heures, je rentre du travail, épuisée par une journée infernale à la mairie de Lyon. Mais ce soir, ce n’est pas la fatigue qui m’écrase : c’est la colère de Charles, son regard fou, sa bouche tordue par la jalousie.
« Tu vas me dire que c’est normal ? Que tu perds tes cheveux partout ? »
Je sens mes joues brûler. Oui, je perds mes cheveux, comme toutes les femmes. Mais ce n’est pas ça qui l’intéresse. Depuis des semaines, Charles cherche des preuves. Des preuves de quoi ? D’une infidélité imaginaire. Il fouille mon téléphone, renifle mes vêtements, compte les minutes que je passe dehors. Ce cheveu sur la chaise devient soudain l’arme du crime.
« Charles, tu te rends compte de ce que tu es en train de faire ? »
Il éclate de rire, un rire nerveux, presque hystérique. « Tu te fous de moi ! Tu crois que je suis idiot ? Tu crois que je ne vois pas ce qui se passe ? »
Je regarde autour de moi : le salon impeccable, les coussins alignés, la table basse sans une trace. Tout est propre, trop propre. Depuis qu’il a perdu son emploi à l’usine Renault de Vénissieux, Charles passe ses journées à nettoyer, à ranger, à surveiller. Il ne supporte plus le moindre désordre — ni dans l’appartement, ni dans notre vie.
Je pose mon sac à terre et m’approche doucement. « Charles… On ne peut pas continuer comme ça. »
Il recule d’un pas, serre le poing autour du cheveu. « Tu veux partir ? Vas-y ! Mais n’oublie pas tes déchets ! »
Je sens les larmes monter. Huit ans de vie commune réduits à un cheveu oublié sur une chaise. Je pense à nos débuts : les balades sur les quais du Rhône, les soirées pizzas devant un vieux film français, les vacances chez mes parents à Annecy où il faisait rire tout le monde avec ses imitations de Jean Dujardin. Où est passé ce Charles-là ?
« Tu sais quoi ? » souffle-t-il soudain. « J’ai appelé ta mère cet après-midi. »
Je le fixe, incrédule. « Quoi ? Pourquoi tu as fait ça ? »
Il hausse les épaules, faussement détaché. « Je voulais savoir si tu étais vraiment au travail hier soir… Elle m’a dit que tu avais l’air fatiguée ces derniers temps. »
Je sens la colère monter en moi comme une vague noire. Il a franchi une limite. Mélanger ma famille à nos histoires…
« Tu n’as pas le droit ! »
Il me regarde avec des yeux fous. « J’ai tous les droits ! C’est chez moi ici ! »
Un silence lourd s’installe. Je repense à la dernière dispute, il y a trois jours, quand il a jeté mon mug préféré contre le mur parce que j’avais oublié d’acheter du lait. À chaque fois, il s’excuse après coup, promet qu’il va changer. Mais il ne change jamais.
Je prends une grande inspiration. « Charles… Je vais dormir chez Pauline ce soir. »
Il éclate à nouveau : « Bien sûr ! Chez Pauline… Ou chez ton amant ? »
Je ferme les yeux pour ne pas pleurer devant lui. Pauline est ma meilleure amie depuis le lycée à Villeurbanne ; elle m’a déjà proposé mille fois de venir dormir chez elle quand ça n’allait plus avec Charles.
Je ramasse mon sac et file dans la chambre pour prendre quelques affaires. Derrière moi, j’entends Charles marmonner : « De toute façon, tu n’as jamais su tenir une maison… Même tes cheveux traînent partout… »
Dans la chambre, je m’effondre sur le lit. Je pense à ma mère qui me disait toujours : « Camille, choisis un homme gentil… Pas seulement drôle ou séduisant… Gentil avant tout. » J’ai cru que Charles était cet homme-là.
Mon téléphone vibre : un message de Pauline.
— « Tu veux que je vienne te chercher ? »
Je réponds simplement : « Oui. »
Quand je ressors du couloir avec mon sac à dos et mon manteau sous le bras, Charles est assis sur le canapé, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains. Il ne dit rien. Je m’arrête devant lui.
« Je reviens demain chercher le reste de mes affaires », dis-je d’une voix blanche.
Il ne relève pas la tête.
En descendant l’escalier de l’immeuble, je croise Madame Lefèvre du troisième étage qui me lance un regard inquiet.
« Tout va bien ma petite Camille ? »
Je souris faiblement : « Oui, merci Madame Lefèvre… Juste une mauvaise journée… »
Dans la rue, l’air frais me gifle le visage et je sens enfin mes poumons se remplir d’oxygène. Pauline arrive en voiture quelques minutes plus tard ; elle me serre fort dans ses bras sans rien dire.
Chez elle, je m’effondre sur le canapé et je raconte tout : la paranoïa de Charles, sa jalousie maladive depuis qu’il a perdu son travail, ses crises pour un rien — un cheveu sur une chaise devenant le symbole de tout ce qui ne va plus entre nous.
Pauline soupire : « Tu sais Camille… Ce n’est pas toi le problème. Il faut qu’il se soigne… Mais toi aussi tu dois penser à toi maintenant. »
Je passe la nuit sans dormir, à ressasser chaque détail : les disputes qui s’accumulent comme des ordures qu’on refuse de sortir ; l’amour qui se transforme en poison ; la peur de partir mais aussi celle de rester.
Le lendemain matin, je retourne à l’appartement avec Pauline pour récupérer mes affaires. Charles n’est pas là — il a laissé un mot sur la table : « Désolé pour hier soir. Prends soin de toi. »
Je regarde autour de moi une dernière fois : tout est propre, silencieux… mais vide.
En refermant la porte derrière moi, je me demande : Combien d’entre nous restent trop longtemps dans une histoire qui fait mal juste parce qu’on a peur du vide ? Est-ce qu’un simple cheveu oublié peut vraiment tout faire basculer ?